Le Japon actuel. Des monstres se dissimulent parmi nous. Des créatures qui nous ressemblent, vivent au cœur de notre société. Quand la faim les tenaille, leur appétit instinctif pour la chair humaine les transforme en bêtes sauvages. Une organisation secrète, le Kifûken, existe pour lutter contre ses êtres et pratique un art martial dédié. Leur crédo : seller le démon qui est en nous, et accessoirement, tuer du monstre.
Faim d'amour et de chair
Le beau et la bête
Alors qu'une vague d'apparition de shokujin (ogre mangeur d'hommes) sans précédent ravage le pays, le Kifûken vacille. Momota, son leader vieillissant doit passer le flambeau à l'un de ses deux fils.Le plus jeune, Kazuma, soucieux de s'adapter au monde contemporain, se tourne vers la science pour combattre la menace. Il veut réformer l'organisation, la moderniser. L'aîné, Toshihiko, obsédé par la tradition et l'idéal de devenir plus fort, semble tout désigné pour la succession. Il ignore les regards amoureux de Rie, la seule femme de l'organisation qui, contre ses aspirations profondes, est préposée aux tâches ménagères.
Toshihiko semble le parangon de la force morale, d'une droiture à toute épreuve ; mais quand il croire la ravissante Yuka – qui croque de l'humain à ses heures perdues – le coup de foudre est réciproque. Leur histoire d'amour passionnée les consument alors que les shokujin continuent de se multiplier et de menacer les vies humaines. C'est alors que le leader du Kifûken est retrouvé mort, assassiné...
Le scénario, résumé ainsi, paraît très sérieux et tragique. Assez commun aussi. C'est sans compter tout les éléments délirants, baroques et souvent glauques qui se greffent joyeusement pour constituer une œuvre très particulière, où la monstruosité devient la normalité. Le titre Kemonozume signifie les griffes de la bête. En effet, si on ampute les shokujin de leur bras, les privant ainsi de leurs griffes, ils cessent d'être gouvernés par des pulsions cannibales.
Des pêches et des crocs
Si l'histoire de Kemonozume reste axée sur l'amour impossible entre un humain et une ravissante ogresse, la série présente une galerie de personnages secondaires bien travaillés. Ils oscillent souvent entre folie et fanatisme, avec des motivations multiples et imbriquées. Les relations familiales sont pourries pas les ambitions inavouées, les amours contrariés, les drames passées.
Entre les hommes du Kifûken, c'est un fraternité qui se fissure, se dénature et dévoile la noiceur des sentiments humains étouffés : jalousie, envie, tromperie...
La composition de la série est tout simplement parfaite. Elle met en place rapidement les éléments nécessaires à la compréhension. La trame devient de plus en plus complexe avec des flash-back intégrés avec intelligence et des petits digressions qui servent toujours la narration. L'univers s'étoffe ainsi et les personnages gagnent en épaisseur. On devine rapidement qu'une manipulation politique de grande ampleur assombrit l'avenir du Kifûken déjà incertain.
Autre surprise de la série, elle reprend à sa sauce épicée la fable populaire de Momotarô. Ce conte cristallise la notion de courage et bravoure. L'incorporation d'élément comme la pêche et le singe donne un aspect humoristique inattendu. Le héros souffre aussi de problème d'incontinence à des moments particulièrement cruciaux, rendant Kemonozume encore plus déjanté et bizarre.
Une expérience visuelle de junkie
La série démarre sans finesse, avec un parti pris graphique fort, de la violence qui flirte avec le gore et une très forte dimension sexuelle. Bref, un anime franchement pour adultes mais d'un abord très étrange et volontairement bordélique.
Avec le génial Yuasa Masaaki à la réalisation, cette série de 13 épisodes ne pouvait qu'être un OVNI. Quand au dessin, avec Ito Nobutake au chara-design, il plaira plus aux amateurs de comics underground et de Bill Plympton qu'aux fans habituels de la japanim bien lisse.
Kemonozume demande de ranger au placard ses préjugés et ses attentes pour apprécier d'un œil neuf et curieux une animation absolument terrible, vive et fluide, sans concession d'ordre esthétique. La bande originale épouse aussi cette univers sous acide avec une musique swing jazz teintée d'accords punk. Elle rehausse et accompagne avec justesse les délires visuels et scénaristes.
Kemonozume sort des sentiers battus. Son graphisme étonnant rebute les timides et bouscule les conventions ; son scénario faussement linéaire remue la lie des sentiments humains, interroge sur la force qui nous anime.
Une série qui dépeint des personnages dévorés de l'intérieur, affamés de pouvoir, d'amour, de reconnaissance. En final, monstres cannibales et humains partagent plus que leur apparence...
Pour ceux que le générique de début intrigue, le titre Auvers est très probablement une référence à Van Gogh, ce qui, vu la patte graphique très impressionniste, me paraît probable.
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Générique de début de Kemonozume
Pour les curieux :
Très bon article sur les travaux de Yuasa Masaki chez Jevanni
Copyright : Marianne Ciaudo