La couverture est le résumé même de l’histoire.Au premier plan, le père, l’aïeul, le vieux, l’encombrant. Il est seul, dans l’ombre, sur son fauteuil roulant, longs cheveux et moustaches blanches, l’œil vif, il écoute ce qui se passe dans la pièce voisine illuminée où sa famille est réunie en cercle pour une discussion très animée.
Lui c’est le chef de famille à l’ancienne, fils d’émigrants, sans instruction, qui s’est enrichi en vendant de la ferraille. Il fête ses 90 ans et Greta, une de ses filles chez qui il vit depuis la mort récente de sa femme, a réuni ses quatre frères et sœurs pour prendre une décision le concernant. Il est paralysé mais a gardé toute sa tête. Elle est heureuse de l’avoir auprès d’elle mais demande leur aide financière ou alors il faudra le mettre dans une maison de retraite. C’est une affaire de famille, très cruelle. J’ai admiré la construction de la mise en scène, si classiquement efficace.Un portrait de famille tout d’abord! Trois filles, deux garçons et le petit fils dont personne ne s’occupe jamais et qui sort d'une grave dépression. Chacun d’eux est présenté à tour de rôle au moment où il reçoit l’invitation de Greta, la gentille sœur qui fait tout pour remplacer la mère.Chaque présentation commence par une pleine page de la maison où il vit. On a ainsi d’emblée une idée bien précise de qui est la personne malgré les apparences facilement trompeuses de leur habillement ou de leurs affirmations. En trois pages ensuite on les voit annoncer à leur entourage leur décision d’aller voir leur père. C’est ainsi qu’on devine très vite les points faibles de chacun.
Ils ne s’aiment pas, se jalousent, se reprochent leurs défauts mutuels et n’aspirent qu'à s’enrichir au décès de leur père. Celui-ci écoute et se remémore les points clés de ses relations avec chacun d’entre eux. On comprend dès lors facilement le dénouement de cette réunion de famille.C’est fort, violent, cruel dans les rapports familiaux et superbe dans la réalisation.
Cette lecture a été un enchantement. Sont réunis dans cet album tous les éléments que j’aime retrouver dans une BD: une histoire simple où chacun peut se reconnaître, un pan de vie en somme, des personnages bien campés et immédiatement reconnaissables dès leur apparition, des situations et des descriptions précises et réalistes (même quand il s’agit de fantastique ou de SF, ce qui n’est pas le cas ici) , une chute claire et décisive, enfin un déroulement classique de l’histoire, sans trop de retours en arrière et surtout des dessins simples mais où l’on reconnaît à première vue la patte du dessinateur, des dessins suffisamment explicites pour ne nécessiter que les dialogues, sans autres vignettes explicatives. On a tout ça ici.
Une affaire de famille de Will Eisner(Éditions USA, 1998, Traduction Janine Bharucha, 68 pages)