Berenice Abbott, Magasin d'armes Gunsmith face au commissariat de police de New York, 1937
A l’heure d’aujourd’hui où les réseaux sociaux et les média se relaient pour diffuser la réalité de notre temps, ou plutôt son reflet parfois biaisé, il fut un siècle où seule la photographie, la vraie, la pure, avait se pouvoir. Celle dont le but premier était « d’initier les personnes de tous âges et de toutes conditions aux réalités de notre monde » comme le dira si bien Berenice Abbott. Cette grande photographe américaine dés années 30 est aujourd’hui célébrée au Jeu de Paume à Paris. Une rétrospective inédite de 120 clichés (portrait, architectures, photographies scientifiques) déroulant les différentes étapes de sa carrière.
Berenice Abbott, Jean Cocteau avec un revolver, 1926
Fuyant le New York bohème du Greenwich Village, la jeune femme aux allures de garçonne débarque dans le Paris des années folles et devient l’assistante du célèbre Man Ray. A ses côtés elle se forme à la photographie et deux ans plus tard ouvre son propre studio dans lequel défile tout le milieu intellectuel parisien. Immergée au cœur de la scène artistique d’avant garde, et notamment surréaliste, elle côtoie et capture les portraits d’artistes, d’écrivains et de certains dramaturges: Cocteau jouant les Bad boy, James Joyce en dandy, ou encore Marcel Duchamp, tant de portraits reflétant l’influence surréaliste, mais aussi un goût certain pour le jeu et le travestissement. Des portraits esthétiques où seul le modèle domine, sans décors, sans fonds. Par cette neutralité, elle insiste sur l’attitude, le corps et l’expression des visages et vient s’opposer aux conventions commerciales de la photographie classique.
Berenice Abbott, Portrait d'Eugène Atget, 1927
Son portrait le plus emblématique reste cependant celui d’Eugène Atget, illustre photographe français, qui sera le premier à réunir une collection de photographies documentaires à destination des peintres, architectes et graphistes. A sa mort, Berenice Abbott prend conscience du talent et de la modernité de ce photographe. Lui vouant une admiration sans bornes, elle œuvrera pour sa reconnaissance internationale. Les clichés d’Eugène Atget, à la fois sobres, poétiques et réalistes ne cesseront d’influencer la photographie du XXème siècle, notamment celle de Walker Evans et d’Henri Cartier-Bresson.
Lors d’un passage à New York, elle est surprise pas les nombreux changements que la ville a subi. Elle décide alors de quitter sa renommée parisienne, pour capturer la nouvelle énergie de la Big Apple, en pleine expansion après la crise de 1929. Elle consacre alors 10 ans de sa vie à cette ville aux milles facettes et constitue sa fameuse série, Changing New York: passants, enseignes, vitrines, architectures… des photographies modernes reflétant les collisions éphémères entre le passé et l’avenir. Entre esthétique et documentaire, ses clichés sont avant tout le témoignage de l’émergence new yorkaise. Au sommet de ces grattes ciel qui constellent l’île de Manhattan, elle effectue une plongée vertigineuse vers ces différents quartiers. Nous dévoilant l’évolution de cette structure urbaine, ces photographies frontales et neutres nous rappellent celles produites quelques années plutôt par Eugène Atget sur Paris. A travers cette série, la photographe fixe à jamais la métamorphose de cette métropole tant célébrée.
Fidèle à son ambition de représenter la scène américaine, elle dressera, en 1954, le portrait du monde rural du sud, notamment celui des villes et villages bordant la Route 1 des Etats-Unis : boutiques, paysans, divertissement, consommation, autant de thèmes qu’elle abordera pour capter l’essence du territoire américain.
Berenice Abbott, Bouncing Ball Time Exposure, 1958
Au cours des années 1950 elle s'intéresse à la photographie scientifique, estimant que la photographie devaitaussi contribuer à la culture scientifique des Américains. Berenice Abbott obtient de collaborer avec le Massachusetts Institute of Technology et réalise en quelques années les photographies auxquelles elle pensait depuis vingt ans. Ses recherches lui permettent de représenter visuellement des principes mécaniques complexes et des lois physiques normalement invisibles. Ses photographies expérimentales et abstraites serviront plus tard aux supports pédagogiques.
Ainsi, par la richesse de ses démarches, Berenice Abbot nous interroge sur la notion de photographie documentaire et de réalisme photographique. En captant cette « disparition de l’instant », elle est parvenue à produire une photographie aux qualités formelles, réunissant brillamment son ambition documentaire et une esthétique plastique.
La diversité de son travail de portraitiste, de documentariste, ou encore d'écrivain, fait de Berenice Abbott une figure phare dans l'histoire de la photographie. Tout au long de sa carrière, l'héritière d'Eugène Atget ne cessera de combattre les cénacles artistiques tenus par les hommes, "Le monde redoute les femmes indépendantes. On ne les aime pas. Pourquoi ? Je l'ignore et je m'en moque" et affirmera avec brio la force de sa photographie.
Photographies, exposition personnelle de Berenice Abbott
21/2-29/4/2012
Jeu de Paume, Paris
Waterfront South Street, 1935Station-service Sunoco, Trenton, New Jersey 1954
Greyhound and Penn Station, New York 1935
Hot Dog stand 1936
Marine Ricard, jeune Marseillaise diplômée d'Arts Plastiques et d'Histoire de l'Art vit et continue ses études pour être surdiplômée en Art contemporain à Rennes. Ella a déjà beaucoup travaillé pour la gloire à la galerie GAD et pour le festival Mouv'art. C'est donc déjà une grande professionnelle!