Ma première rencontre musicale avec l’univers de Louis Ville c’était dans les années 2000-2001, mon coeur balancait entre Jours Étranges et La Marmaille Nue tout en mattant pour la énième fois Drugstore Cowboy et My Own Private Idaho.
Puis je me suis retrouvé dans un hôtel pourri où la noirceur de Louis Ville m’avait figé littéralement la colonne vertébrale, cet artiste qui joue très près du bord de nos émotions m’a fait que du bien. Je lisais beaucoup d’histoires sur des loosers. des gens au bord de la rupture, des hobo qu’on distinguait chez Jack London ou Kerouac, tous ces écorchés qui font danser les démons, nos démons.
Mais la musique de Louis Ville n’est pas que du désespoir flamboyant, loin de là, c’est une ode à la vie, à l’amour, à la beauté des mots et des arrangements musicaux. Louis c’est un talent rare qui gueule de l’amour, qui partage avec nous sa colère, qui nous fait découvrir un autre monde.
La musique de Louis Ville a toutes les couleurs du monde et peint des paysages d’une beauté mélancolique. Elle me parle, m’hypnotise, me ravit, me fait aimer la douceur des mots. Et surtout, Louis nous offre un beau voyage avec son dernier album Cinémas :
Louis Ville, un talent rare et une beauté mélancolique enivrante
Après avoir fait parti du groupe Do It tu entames une carrière solo à partir de 1999 en s’éloignant de la langue de Shakespeare pour te retrouver avec des textes plus en français.
Avec Do It, je chantais plus en anglais, mais c’était au sein d’un groupe. En fait, j’ai commencé à écrire en français avec Do It puisque le dernier album (qui date de 1995 ou 1996) était en français. Puis à partir de ce moment-là, j’ai décidé de poursuivre une carrière solo.
Tu es quand même passé du jazz-rock au punk, du rock anglais à la chanson rock , etc. Tu aimes diversifier un peu les styles ?
Quand j’étais ado, dans les années 70, on ne jurait que par la musique anglo-saxonne et j’étais complètement bercé par ce style. On aime faire de la musique comme celle qu’on écoute mais j’avais aussi d’autres influences comme celles que mes parents m’ont fait découvrir à travers la chanson française (Brassens, Brel, Ferré, Ferrat…). C’était donc tout à fait logique que je suis ce train-là de musique des années 70 parce que ça me semblait tellement novateur et excitant. J’étais par contre touché par les textes en français mais je trouvais que l’univers sonore sentait la naphtaline (sourire). C’est normal parce que quand on est jeune, on a toute la prétention du monde. C’est après que j’ai compris le sens de cette naphtaline qui me faisait peur.
Je me rappelle d’un de tes concerts qui m’avait scotché, c’était à la Bellevilloise en duo avec François Pierron. En groupe, en duo ou en solo, ta musique est ensorcelante (sourire)
(sourire) J’aime toutes les formules parce qu’en fin de compte on va toujours puiser l’énergie là où il faut ! Et puis quand on a des musiciens très talentueux qui vous accompagnent, on ne peut prendre que du plaisir.
Tu as sorti ton recueil de poésie « De beaux riens » - avec ses belles illustrations et ses textes qui accrochent et qui collent à la peau – en même temps que ton album « Cinémas« .
Autant j’ai été peu attentif aux textes quand j’ai fait mes armes dans toute sorte de genres musicaux, autant maintenant j’ai développé un style qui m’est propre avec tout le soin que j’apporte aux mots et à leurs significations. Le texte pour moi est hyper important donc je ne voulais pas le « séparer » de la musique. Les éditions Strapontins m’ont fait un super beau cadeau en acceptant d’éditer mon recueil.
J’aime habiller les textes, et ça reste pour moi la base parce que c’est ce qui crée la matière musicale.
Avec »De beaux riens« , on retrouve aussi des textes inédits que tu n’as pas encore livré sur scène
Il n’est pas dit que je n’ai pas créé un environnement musical autour de ces textes que je n’ai jamais chanté (sourire). Parce qu’il peut se passer qu’un jour un texte m’inspire un habillage musical alors que deux ans auparavant il ne m’inspirait pas grand chose … Mais on n’écrit pas pour chanter un texte, on écrit pour jouer avec les mots, pour créer un imaginaire, etc. Des fois il y a une évidence, on ressent tout de suite ce qu’il doit supporter le texte et des fois, on met de coté… pour plus tard.
Tu donnes une importance aux textes certes, mais aussi tu prends en considération l’avis du public. « Cinémas » par exemple, il a bien rodé sur scène avant de « bien » sortir !
Je crois que c’est important de ressentir l’émotion des gens quand on livre quelque chose. Si je ne joue pas les morceaux sur scène avant de les enregistrer, pas forcément avec les mêmes arrangements, j’aurai l’impression de me conduire d’une manière très égoïste. Comme je joue ces morceaux sur scène et je prends ce que les gens me donnent, je sais quoi faire de ces ressentis, de ces silences et éloignements.
Louis Ville nous invite à un beau voyage dans son « Cinémas »
Je remarque que l’habillage musical a une véritable importance sur ton album, vu que d’une chanson à l’autre, on est carrément hypnotisé et on passe d’un genre cinématographique à un autre : un vrai voyage dans ton « Cinémas« .
Je n’ai pas la prétention de dire que « Cinémas » est un album concept mais je voulais créer au travers des arrangements et des petits détails musicaux quelque chose qui ramenait aux genres de cinéma. Ce sont mes souvenirs à moi et ce que j’ai pu ressentir quand j’ai regardé des polars américains des années 50, des films de cinecittà ou bien des séries américaines des années 70. Donc, au travers de Cinémas, je voulais rendre hommage aux genres de cinéma qui m’ont toujours passionné.
Par contre, c’est plus qu’évident sur certains titres : la chanson « Marcello » et cet hommage au cinéma italien.
Toute cette exubérance avec Fellini et la cinecittà, il y avait un esprit très baroque et très joyeux. On décrivait la société italienne d’une manière très joviale et donc malgré l’adversité et la difficulté il ressortait de ce cinéma une joie de vivre époustouflante !
Puis on repasse à un autre genre de cinéma avec la chanson « Sans rien dire » : le cinéma muet
J’ai un certain âge (rires) et je me rappelle de l’époque où on avait que deux chaînes de télévision, et il n’y avait que du cinéma muet. C’était un régal ! Les gens vont me prendre pour un rescapé (rires) mais c’est vrai, c’est tous ces souvenirs-là qu’on grave en soi et qui un jour ou l’autre finissent par ressortir.
Le voyage cinématographique se fait aussi avec tes clips … qui sont plus des courts-métrages !
(sourire) C’est Yvanna, ma femme, qui m’a dit que comme j’ai fait un disque hommage au cinéma, alors autant créer des clips autour de cela, qui seront écrits comme des courts-métrages. C’était parfait, j’ai eu la chance de rencontrer des réalisateurs, des acteurs et on a étoffé avec un nombre impressionnant de clips pour un seul album !
Je suis tombé sous le charme du clip de la chanson « Ne te retourne pas« . Ce clip est une trés belle réussite. et qui fait en plus vibrer la chair !
Avec »Ne te retourne pas« , c’était soit j’allais dans le bayou ou en Louisiane pour avoir quelque chose qui sentait l’humidité, la sueur et la loose, ou bien je partais sur un autre trip. Puis, j’ai rencontré la chorégraphe Elisabeth Masse qui a enregistré une de mes chansons en langage des signes. Dans le clip, il y a cette lourdeur cette lenteur et ce côté inéluctable qui colle bien au propos.
Il y avait beaucoup de tristesse dans ton premier album »Hôtel pourri » puis on a ressenti de l’amour sur »Une goutte » et je pense notamment à la chanson « Aime moi » . Sur « cinémas », on retrouve une belle chanson « Embrasse-moi » qui parle d’amour comme personne !
J’écris souvent cette noirceur humaine parce qu’elle est réelle et elle fait partie de mon quotidien. L’être humain n’est pas fait que d’amour mais moi c’est ce qui me fait vivre, c’est l’amour. J’en parle beaucoup, en créant des personnages par exemple qui sont au bord de la rupture et qui souffrent. La souffrance est magnifique même si c’est destructeur, mais j’aime vraiment parler de l’amour, c’est une superbe chimie (sourire). L’amour que je vis en ce moment avec ma femme Yvanna, je le trouve magnifique. Pour rien au monde je ne voudrai changer ma place avec quelqu’un d’autre (rires) !
On t’a souvent comparé à Arno, Arthur H ou Tom Waits. J’avais promis que je n’allais parlé que de toi et ton album mais faut bien l’avouer que »Sans rien dire » a ce chant parlé qui rappelle bien Jacques Brel
Il y a des sentiments qu’on a besoin d’exprimer et qui n’ont pas besoin d’énormément d’habillage, ici on est plus dans le style narratif et non dans le descriptif. J’aime rendre hommage à des artistes que j’ai beaucoup aimé ! En 2007 avec l’album « À Choisir », j’ai fait une reprise d’Y’en a marre de Léo Ferré, et dans ce même album y a une autre chanson qui est directement inspiré de l’univers de Jacques Brel. Ces deux artistes ont une puissance d’écriture qui est absolument énorme.
Tu ne fais pas que de la reprise mais tu te réappropries la chanson. Après le Y’en a marre du précédent album, tu réitères avec Vingt ans
Quand tu te réappropries la chanson de quelqu’un d’autre, tu ne dois pas faire du copier-coller. Si je reprends une chanson, c’est que -sans aucune prétention de ma part- je me dis que je suis capable de chanter ce morceau comme si c’était de moi. Et je crois que c’est le plus bel hommage qu’on puisse faire à quelqu’un, ça veut dire que ses mots sont universels et touchent tout le monde, peu importe la personne qui interprète la chanson. Mathieu Ferré, le fils de Léo, avait beaucoup aimé ma reprise de la chanson Vingt ans. Je n’ai pas envie de reprendre un morceau juste pour « faire une reprise ». Je veux construire, je veux avoir toute la prétention du monde en me disant que je vais faire mieux que l’original (sourire).
Le gros coup de coeur aussi sur ton dernier album enfin la réédition de cinèmas, c’est ce duo avec MeLL. Tu fais revivre Hôtel pourri dix ans après. Nostalgique ?
(rires) Ben pour cette chanson, c’est ma femme Yvanna qui a eu l’idée …
Merci Yvanna (sourire)…
L’année dernière, nous étions invités à un festival à Saint-Etienne et ils avaient demandé à tous les artistes invités d’imaginer des duos. Là, MeLL est arrivée et elle me dit « J’ai envie de chanter Hôtel pourri parce que je veux chanter que je n’arrive plus à bander » (rires). Très rock’n'roll ! On a donc répété et puis quand on l’a produite sur scène, le public a réagi d’une manière très puissante alors que la voix de MeLL est très très douce, y a cette fragilité cette tristesse dans sa voix.
Quand il y a eu cette réedition de l’album Cinémas, ben Yvanna a tout de suite pensé à MeLL
Dorénavant, tu tournes avec MeLL à la batterie et François Pierron à la contrebasse. Vous formez un beau trio très surprenant (rires)
(rires) Personne n’a encore vu MeLL à la batterie, ça sera une très belle surprise ! C’est encore une idée folle d’Yvanna (sourire). Maintenant, on fait un mélange de chanson-rock-garage, un univers très improbable avec toute la violence de François et la puissance rock’n'roll de MeLL. Cette aventure est géniale parce que tout le répertoire se renouvelle, je n’ai pas du tout l’impression que je chante la même chose qu’il y a deux ou trois ans.
C’est très égoïstement un pure plaisir personnel (sourire) !
Remerciements : Yvanna et Louis Ville