1ère de Couverture "L'horizon" Folio
Editeur : Gallimard, 2010
Nombre de pages : 166
Un roman de Patrick Modiano est toujours une belle page blanche dont on vante le grammage de haute qualité et le velouté des finitions. Vertige d’une page blanche dont le contenu se devine en filigrane et qui requiert le goût de l’exploration littéraire. Car c’est bien ça le fameux style « Modianesque » : une séduction en demi-teinte, une ballade dans ce temps perdu qui ne reviendra plus.
Avec L’horizon, sans se presser, Modiano nous livre une histoire brumeuse où l’émotion affleure et s’affranchit de l’urgence narrative. L’histoire qui s’offre à lire est celle de Jean Bosmans. En sa possession, peu de choses ou peut-être l’essentiel : un carnet en moleskine racontant les visages du passé. Souvenir d’une femme capable de disparaitre sans un mot pour prendre le train de l’avenir. Un train pour Berlin.
Il la rencontre à Paris dans les années 60. Ensemble, ils boivent des cafés dans des brasseries anonymes, cherchent du travail, vivent dans les chambres de bonne des beaux quartiers. Ensemble, sans se toucher, sans explorer la sensualité d’une rencontre, ils errent côte à côte, simplement unis par le désenchantement et autant de secrets jalousement tus. Les enfants perdus de Modiano ne deviennent jamais des adultes qui trouvent leur chemin. Couple gémellaire de l’évitement, ils finiront par s’unir comme s’unissent inévitablement les fugitifs du passé. Mais, les choses enfouies ne le sont jamais complètement et s’y confronter c’est aussi s’abandonner aux imprécisions de l’avenir. Un avenir dont le rideau s’ouvre sur une perspective d’horizon.
Promenade dans l’art de la nostalgie, L’horizon est une magistrale leçon d’écriture qui enchantera toute lectrice et tout lecteur raffiné. La fulgurance esthétique de certaines phrases vous poursuit longtemps, vous invitant à un corps à corps musical avec les mots : « Quelqu’un lui avait chuchoté une phrase dans son sommeil : Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses, et il la nota dans son carnet, sachant bien que certains mots que l’on entend en rêve, et qui vous frappent et que vous promettez de retenir, vous échappent au réveil ou bien n’ont plus aucun sens ».
Le talent de Modiano est tout autant celui de savoir écrire nos blessures que celui de nous faire aimer ces personnages désenchantés capables de prendre leur envol pour rejoindre le ciel de Magritte. Orfèvre du souvenir, que cela soit celui d’un Paris à la lumière grise et automnale ou celui d’une jeunesse disparue, il laisse cette fois-ci à l’horizon la possibilité de souligner l’infini.