Délits d’Opinion : Quelques heures après la publication des résultats officiels du 1er tour, quel est, selon vous, l’élément qui marquera le plus la vie politique française ?
Ghislaine Ottenheimer : « Ce qui restera de ce 22 avril 2012 c’est incontestablement le très bon score de Marine Le Pen. Un score d’autant plus impressionnant que durant son quinquennat Nicolas Sarkozy s’est efforcé, sans relâche de faire reculer l’électorat du FN. Et que le FN semblait durablement affaibli par le départ de Jean-Marie Le Pen, la guerre de succession, les difficultés financières. L’échec de Sarkozy, en ce domaine, montre une fois de plus, qu’on ne lutte pas contre l’extrême droite en reprenant ses thématiques, mais en les combattants. Le succès du FN démontre que notre pays est bien une terre de conquête pour l’extrême-droite. Cette particularité suscite beaucoup d’intérêt à l’étranger. Il faut savoir que désormais l’extrême droite française se situe à la troisième place au niveau européen, derrière l’Autriche et la Norvège. Devant la Hongrie, les Pays-Bas ou l’Italie qu’on montre du doigt ! (et notamment en Italie, au Pays-Bas et en Hongrie où les percées de l’extrême droite n’ont jamais pu atteindre une telle ampleur.)
Désormais le FN n’aura de cesse d’affaiblir l’UMP, et de pousser à son implosion. En effet, bien que le système électoral actuel ne lui permette pas de conquérir un nombre de sièges à la hauteur de son poids électoral, le FN, par le jeu des triangulaires, risque de précipiter la chute de nombre d’élus UMP. »
Délits d’Opinion : En deux semaines, Nicolas Sarkozy peut-il inverser la tendance. Si oui, quelle stratégie peut-il privilégier ?
Ghislaine Ottenheimer : « Il est aujourd’hui trop tard pour l’emporter. Nicolas Sarkozy paie cinq ans de gouvernement sans ligne directrice stable. Ce constat s’est vérifié à l’occasion de la campagne pendant laquelle il n’a pas su incarner un projet et proposer une vision claire. Président de crise, il n’a pas su, non plus, faire la pédagogie de ses réformes et définir le cadre dans lequel elles s’inscrivaient. Et il faut le rappeler, compte tenu de la force de cette crise, tous les dirigeants européens ont été battus. En Espagne, en Grèce, en Italie…
Il y a fort à parier que Sarkozy ne se sacrifiera pas pour sauver ce qu’il reste de l’UMP. Et qu’il ira donc à la pêche aux voix FN, au risque de diviser profondément l’UMP. Il entend mener le combat jusqu’au bout afin de réaliser le moins mauvais score possible. Pendant les 12 jours qui le séparent du dimanche 6 mai il devrait donc multiplier les clins d’œil aux électeurs du Front national. Lutte contre l’Immigration, refus de l’assistanat, défense des frontières, seront donc au cœur de son message.
Il reste une inconnue : le taux de participation des électeurs du FN qui décideront de faire barrage à Sarkozy ou à Hollande. Mais in fine, cela ne changera que l’ampleur de la défaite. »
Délits d’Opinion : François Bayrou est sans doute l’un de ceux qui ont le plus perdu hier soir. Comme peut-il survivre à cette débâcle ?
Ghislaine Ottenheimer : « S’il a été défait hier soir, c’est avant tout parce qu’il n’a pas suffisamment préparé cette élection sur le plan programmatique, l’organisation des hommes. Mais François Bayrou peut encore jouer un rôle dans la recomposition de la droite. Il va tenter de rallier tous ceux qui à l’UMP ont une fibre libérale, sociale et européenne et veulent reconstruire un centre-droit. Lui qui s’est opposé tout au long du quinquennat à une droitisation extrême peut collaborer à ce projet. Mais pas sûr que tout le monde veuille se rallier à son panache. Il est aujourd’hui très « démonétisé » et son échec confirme qu’un homme seul ne peut rien à long terme. Son cas n’est pas une exception et cette issue pourrait guetter Jean-Luc Mélenchon, comme hier Jean-Pierre Chevènement, s’il ne parvient pas à mobiliser autour de lui une force politique. Etre le troisième homme n’est pas un aboutissement et c’est ce qu’a compris Marine Le Pen qui, depuis plusieurs années travaille à la constitution d’une vraie force politique. ».
Délits d’Opinion : A gauche, comment François Hollande va-t-il gérer l’après 6 mai dès l’entre-deux tours ?
Ghislaine Ottenheimer : « Fidèle à lui-même et à sa stratégie, le candidat socialiste veut conserver son cap. Sur le modèle d’un Rajoy en Espagne il se contente d’un service minimum qui ne l’expose pas trop, bien qu’il s’autorise quelques libertés comme ce fut le cas sur l’imposition à 75% ou la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale ; deux points « hors programme » qui ont agi comme des piqûres de rappel, pour bien convaincre qu’il est de gauche.
Il sait que la vague de fond contre Nicolas Sarkozy et contre les sortants, partout en Europe, lui sera favorable. Il navigue donc sereinement en veillant à ne pas faire la moindre erreur.
Dans le choix des hommes, là aussi, on devrait observer une grande cohérence. Si l’on remonte au discours de Lorient en juin 2009, on note qu’il entend rester fidèle à ses proches et donc plutôt à un Jean-Marc Ayrault qu’à une Martine Aubry pour Matignon. Les soutiens des Verts et du Front de Gauche seront une force supplémentaire mais il ne faut pas attendre une modification profonde de sa manière de gérer ses équipes ».