Un groupe de « chercheurs » était venu rendre visite à un grand maître qui connaissait la voie de la sagesse.
Ils trouvèrent le maître dans la cour, festoyant avec des disciples.
« C’est odieux ! s’indignèrent les uns. Ce n’est pas une façon de se conduire, quel que soit le prétexte ! »
Les autres, au contraire, d’approuver :
« Rien à redire à cela ! Ce type d’enseignement nous plaît, nous voulons y participer. »
D’autres avouaient leur perplexité :
« Nous ne savons pas trop qu’en penser, nous aimerions bien pouvoir éclaircir ce mystère. »
D’autres encore s’interrogeaient :
« Sans doute y a-t-il là-dessous quelque sagesse cachée… Devons-nous chercher à savoir ce qu’il en est ? Ou faut-il en rester là ? »
Le maître les congédia tous.
Ces gens répandirent leurs opinions, en paroles et par écrit, concernant les festivités dont ils avaient été témoins. Même ceux qui ne firent pas directement allusion à leur expérience en furent marqués à un degré ou à un autre, et les impressions qu’elle leur avait laissées se reflétèrent dans leurs propos, et même dans leurs actes.
Quelque temps après, certains des membres de ce groupe, se trouvant à proximité de la maison du maître, lui rendirent de nouveau visite.
Ils se tinrent un moment à l’entrée. Le maître et ses élèves étaient assis dans la cour intérieure, hiératiques, abîmés dans la contemplation.
« Voilà qui est mieux ! dirent les uns : il a manifestement tenu compte de nos protestations.
– C’est parfait ! dirent les autres : la dernière fois, il voulait nous mettre à l’épreuve, voilà tout !
– C’est sinistre ! estimèrent d’autres, des tristes mines, on en peut voir partout. »
D’autres encore avaient d’autres opinions, qu’ils exprimèrent ou non.
Le grand sage les renvoya tous.
Longtemps après, quelques-uns de ces « chercheurs », désireux de savoir ce que le maître pensait de leurs réactions et réflexions, revinrent pour la troisième fois.
Ils se présentèrent à l’entrée, jetèrent un coup d’œil dans la cour. Le maître était là : il ne festoyait pas, ne méditait pas, ses élèves avaient disparu.
« Je peux maintenant vous dire ce qu’il en est, leur dit-il, car j’ai pu renvoyer mes disciples : le travail est achevé.
« La première fois que vous êtes venus ici, les disciples prenaient les choses trop au sérieux. J’étais en train d’appliquer le correctif.
« La deuxième fois que vous êtes venus, ils s’étaient montrés trop désinvoltes, j’appliquais le correctif.
« Quand un homme travaille, il n’a pas toujours le temps, ni le désir, de s’expliquer devant des visiteurs de passage, si intéressés ceux-ci pensent-ils être. Quand une action est en cours, ce qui compte, c’est son déroulement correct. L’appréciation des observateurs extérieurs est en l’occurrence une affaire secondaire. Ce que les gens peuvent penser d’une situation nous en apprend davantage sur eux que sur la situation considérée. »
*****************************************************