Boris Achour, Séances, Conte de feu de camp, 2012
L'exposition de Boris Achour au CREDAC, ou plutôt son spectacle, puisqu'on y va pour une séance d'une heure en réservant (ou pas), oui mais enfin c'est quand même une exposition puisqu'on va de salle en salle voir ses oeuvres, non mais c'est quand même un spectacle puisque ce sont (surtout) des vidéos qui s'enchaînent (plus ou moins bien) ce qui fait qu'on loupe toujours un morceau et qu'on est frustrés, oui mais alors on peut rester pour la séance suivante si on a loupé un truc parce qu'on n'a pas couru assez vite de la salle A à la salle
Boris Achour, Séances, Brouillard-enfant, 2008-2012
C et alors on peut revoir le bout de vidéo loupé, oui mais c'est quand même frustrant de se sentir frustré parce qu'on a peur d'avoir manqué quelque chose, j'aime pas ça (comme dans le labyrinthe du MAXXI au début quand je m'y perdais; remarque, au PalTok, jeudi c'était pareil, j'avais peur de n'avoir pas tout vu, faut que je me soigne), bon, donc disais-je, l'exposition / spectacle de Boris Achour au CREDAC (jusqu'au 3 juin) c'est une histoire terrifiante, mais narrée doucement à plusieurs
Boris Achour, Séances, Une partie d'assemblée, 2012
voix : demain il n'y aura plus de soleil, seulement un souvenir de soleil, une nostalgie de soleil, un mythe de soleil, parce que tous les hommes de la Terre auront eu peur ensemble au même moment et cette grande frayeur aura éteint le soleil (je crois que c'est ça, pas vraiment sûr d'avoir compris), c'est Jean-Yves Jouannais (vous savez, le fou de guerre) qui raconte ça à des enfants rassemblés autour d'un feu de camp, enfin, pas un vrai feu de camp, une sculpture lumineuse de Boris Achour exposée dans
Boris Achour, Séances, Naissance du Mikado, 2012
la salle à côté, tout se tient, et puis sur un autre écran, comme c'est la nuit, un enfant beau comme un ange dort, c'est tout, mais quiconque a regardé un enfant, son enfant, dormir est ému aux larmes devant ce chérubin, et la nuit c'est aussi bien pour faire l'amour et comme ce sera la nuit tout le temps, on passera notre vie au lit, un grand lit blanc aseptisé et à quatre c'est mieux qu'à deux, on posera soigneusement nos chaussures au bord du lit, on boira du champagne dans des coupes qui ont l'air d'être
Boris Achour, Séances, Une partie d'assemblée, 2012
en plastique et on se caressera doucement pendant des heures et ceux qui n'ont pas envie pourront plutôt réinventer le mikado (et la sculpture est là aussi) ou bien jouer avec des cubes avec des lettres pour faire des phrases absurdes, la nuit (éternelle) tout est permis, mais quelle espérance aura-t-on encore quand on ne verra plus le soleil, peut-être juste de vivre ensemble différemment, d'inventer des nouveaux rites, des nouveaux modes de vie, comme Boris Achour invente ici un nouveau mode d'exposition, un montage-collage qu'on arpente à sa guise et où on se perd parce qu'en plus il a invité des écrivains (dont Michele Robecchi à qui j'ai piqué le titre, c'était mieux que 'Voyage au bout de la nuit', elle n'a pas de bout, celle-ci) à lui confectionner des fragments, des morceaux de récit dont on ne saura ni le début ni la fin et qui tous parlent de la nuit, de la perte du soleil, et on lit leurs textes aux murs, mais aussi sur un drôle de lectrin, en s'arrachant les yeux, d'ailleurs ici les vitres sont occultées et on navigue dans une pénombre bleue, et je vais encore rester pour une séance.
Photos courtoisie du CREDAC, (c) Boris Achour.
Boris Achour étant représenté par l'ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l'exposition.