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Ce pourrait être un banal match de tennis entre deux vacanciers, sur l’île d’Antigua. Mais, en ouverture d’un roman de John Le Carré, il ne s’agira bien sûr pas seulement d’une détente entre deux adversaires de hasard que le moniteur local estime de valeur comparable. Estimation très approximative, d’ailleurs, puisque Peregrine Makepiece, appelons-le Perry comme ce sera le cas dans tout le livre, devra retenir ses coups pour ne pas écraser Dima, ou plutôt « l’homme qu’on appelle Dima », pour introduire immédiatement une précision fournie plus tard.Plus tôt, plus tard : John Le Carré joue avec le temps du récit dont une partie est rapportée, a posteriori, lors d’un interrogatoire de Perry et Gail, sa compagne, par Luke et Yvonne. Dès leur retour d’Antigua, Perry a pris la décision de contacter les autorités pour transmettre un message de Dima. Il aurait préféré laisser Gail en dehors de tout cela mais, d’une part, elle a vécu à peu près les mêmes événements que lui pendant leurs vacances et, d’autre part, elle ne tient pas à être écartée de ce qui se passe. L’étrangeté de la situation leur est apparue le soir où Dima les a invités à une fête. L’ambiance était étrange, presque effrayante, Dima voulait se confier à Perry. Expliquer qu’il était le numéro un mondial du blanchiment d’argent, que son rôle de banquier s’exerçait surtout auprès de la mafia russe, qu’il était en danger de mort et qu’il souhaitait un asile en Grande-Bretagne contre les nombreux renseignements en sa possession. Impliquant des personnalités britanniques dans des trafics pas très nets…L’histoire est un peu embrouillée aux yeux de Perry et Gail qui n’ont pas les moyens d’en comprendre tous les enjeux. Il est professeur de littérature, elle est avocate mais n’a jamais côtoyé la pègre internationale. Ils découvrent donc, en même temps que nous et au fur et à mesure que l’interrogatoire met les détails en lumière, dans quel piège ils sont tombés. Ainsi que les décisions difficiles à prendre désormais : Dima les a invités à la finale du tournoi de Roland-Garros pour préciser les détails du marché avec les services secrets britanniques. L’oligarque russe, lui, sait la partie dangereuse : il a face à lui un groupe d’hommes qui n’ont pas hésité à tuer déjà des membres de sa famille, et qui ne reculeront pas devant le meurtre d’un couple soudain trop proche de leurs affaires.L’histoire serait aussi embrouillée aux yeux du lecteur si John Le Carré ne prenait soin de nous prendre par la main pour nous conduire dans ses recoins les plus obscurs. Parfois, il est vrai, avec un bandeau sur les yeux. L’écrivain cultive le goût du mystère depuis assez longtemps pour qu’on ait appris à goûter la manière à la fois délicate et brutale avec laquelle il fait naître et croître la fascination.On l’a dit souvent, mais il n’est pas inutile de le répéter : l’auteur de La Taupe a réussi, et avec quel talent, à changer de terrain pour rester dans le présent. La guerre froide, cadre de ses premiers romans, est terminée pour lui aussi. Et, comme dans la vraie vie des agents secrets, il a trouvé des perspectives nouvelles. Avec les flux d’argent sale, il construit une fiction aussi passionnante que celles d’avant la chute du Mur de Berlin.Ce n’est pas sa seule qualité. Ce n’est peut-être même pas la première. Avec constance (La constance du jardinier ?, un autre de ses romans), il fournit à ses personnages des rôles complets. Le cadre de l’espionnage déborde sur les aspects humains. Dans Un traître à notre goût, la fascination exercée par Dima sur Perry est pour celui-ci un élément moteur. Même si la fascination est trouble, peut-être suscitée davantage par l’impression d’avoir été élu que par le sentiment de pouvoir rendre service à son pays. Plus intense encore est la relation nouée entre Gail et les filles de la famille russe, deux orphelines dont les parents viennent de mourir dans un accident de voiture – un accident à coups de kalachnikov – et une adolescente sublime dont les problèmes deviennent presque ceux de Gail.Un traître à notre goût n’est pas un grand roman d’espionnage. C’est un grand roman, tout court.