Que peut bien avoir à nous dire le philosophe sur l’érotisme ? Que peut-il nous apprendre, sortant de sa réserve, sur les choses de l’intime ?
C’est que l’érotisme fait apparaître une relation nouvelle, distincte des relations habituelles, de nature à intéresser le moraliste. N’y a-t-il pas en effet, du fond secret de cet échange obscur, un rapport exceptionnel qui émerge, un acte réciproque de respect, peut-être même de moralité ?
Peut-être survient-il là un événement qu’on n’attendait pas, qu’on désespérait même de trouver. Cet événement, c’est celui d’un rapport authentique à l’autre, à ce qu’est mon partenaire, mon prochain, à son être en tant qu’autre, différent, et non en tant que mien. C’est tout le paradoxe, car c’est justement dans l’amour qu’apparaît non la fusion ou confusion des êtres, mais la possibilité de leur distinction.
C’est la grande question que pose Lévinas dans ses textes consacrés à l’altérité. Existe-t-il une relation capable de nous faire entrer en contact les uns avec les autres sans que cette mise en relation abolisse notre spécificité ? C’est une vraie question. Comment, lorsque nous sommes ensemble, considérer l’autre tel qu’il est, et non tel qu’il m’apparaît du fait de mes pensées, valeurs ou humeurs du moment ? Peut-il m’apparaître sans être absorbé, filtré, déformé par mon identité ?
Oui, dans l’amour. Car alors nous agissons tout en étant soumis, disponibles sans disposer. On est toujours un peu dépassé en amour, désorienté et docile. Disponibilité et docilité qu’accomplit l’érotisme. Il n’y a qu’à suivre l’incertain mouvement d’une caresse : ses hésitations, ses détours, son attente. Les caresses cherchent quelque chose, sans s’épuiser dans le contact sensible, sans être ordonnées à une volonté claire. Il y a là, selon Lévinas, une curiosité ouverte, désordonnée, sans objet, et ainsi sans domination ni possession.
Voilà une situation que nous pourrions imiter au grand jour…