Les plus jeunes parmi vous ne se souviennent de Charles Millon, UDF, droite catho (pro-peine de mort, anti-avortement), ministre de la défense sous Chirac. Aux élections régionales de 1998, en Rhône-Alpes, il se retrouve dans la position de Nicolas Sarkozy aujourd'hui : il avait besoin des voix du Front National pour garder le conseil régional. Peu après (et après son exclusion de l'UDF, due notamment à François Bayrou ; Madelin quitte l'UDF en même temps) il fond son propre "mouvement", La Droite. L'idée était que la droite dite républicaine ne devait pas se priver du Front National, puisque celui-ci faisait naturellement partie de La Droite.
L'épisode des régionales 1998 a été le début de la dégringolade personnelle de Millon. L'idée d'une grande droite allant de Hitler à de Gaulle et même jusqu'à Tocqueville, n'est pas morte pour autant. C'était la droite décomplexée avant l'heure, et on peut être certain que Millon n'était pas le premier à regarder les resultats en se disant que si on additionnait les scores RPR, UDF et FN, la droite, ou La Droite, serait imbattable pour toujours. Ou du moins pour mille ans, ou quelque chose comme ça.
Si Nicolas Sarkozy, ainsi que les inséparables Copé et Fillon, se retrouvent depuis hier dans la même position que Millon, il y a plusieurs différences importantes, la première étant qu'ils ont à séduire des électeurs et non pas des élus, comme c'était le cas pour Millon. La seconde, c'est que depuis cinq ans, c'est déjà La Droite, ou sa réincarnation, qui gouverne la France, Sarkozy se faisant élire sur un programme faisant la synthèse idéologique de l'UMP et du FN. Il n'y a pas de sens de parler d'une coalition pour une élection présidentielle, mais l'élection de 2007 y ressemblait fortement, sur le plan des idées sinon sur celui des personnes.
Depuis 2007, Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéant ont fait ce qu'ils pouvaient pour mener une politique qui devrait plaire au Front National. La synthèse n'était pas seulement dans les mots
La question devant les électeurs cette année est donc : veut-on reconduire La Droite ? L'échec du premier tour, avec le retour massif des électeurs FN vers leur pays d'origine (on les aime, mais on les aime chez eux), signe l'échec de cette stratégie et l'échec de l'idée même d'une Grande Droite.
Le problème, c'est que ce qui motive le Front National, son moteur xénophobe, n'est pas compatible avec la droite conservatrice. Je ne parle même pas de compatiblité avec la République. (Nous sommes décomplexés maintenant, n'est-ce pas ?) L'électeur xénophobe, pour diverses raisons, veut toujours plus, et n'a rien à faire justement de défendre le capital. Il est tout sauf conservateur. J'écrivais l'autre jour :
Maintenant que Sarkozy a cinq ans de bilan derrière lui, que les xénophobes souffrent tout autant de leur xénophobie, qu'il n'est plus possible de promettre de tout faire péter ("pourquoi ne l'a-t-il pas déjà fait ?"), il ne peut plus générer cette charge émotionnelle qui fait rêver les oppressés de leur race. C'était prévisible, d'ailleurs. Et maintenant, pitoyablement, il doit prononcer les mots : "venez avec moi, on trouvera des 'solutions'". Mais le malade ne veut pas d'une "solution", sinon il ne serait pas malade. Il veut tout faire péter, comme toujours.
L'électorat du Front National ne veut pas du système, ne veut pas de la réalité, ne veut pas de l'UMP, ne veut même pas des mesures de Claude Guéant, aussi odieuses qu'elles soient. (Individuellement, les électeurs se trompent, arrivent entre les mains de Marine pour diverses raisons, plus ou moins bonnes. Ce ne sont pas tous des enragés : je parle plus des idées que des gens qui sont attirés par les idées. Le drame aujourd'hui c'est que presque vingt pourcent des électeurs souhaitent se mettre hors du jeu.)
Donc La Droite ne marche pas, et ce n'est pas à cause des grands principes républicains bafoués. Même décomplexée, La Droite ne marche pas parce qu'elle se fracture de l'intérieur. Elle ne marche pas parce que le Front National n'y retrouve aucun intérêt.