Forte fièvre extrémiste pour un pays qui, malgré le mécontentement de
trente années de gouvernements UMP et PS en alternance, va se donner à l’un de ses deux représentants. Face à cela, la troisième voie centriste a été reléguée en cinquième
position.
L’élection présidentielle en France est l’événement national le plus important de la vie politique car il structure la gouvernance des cinq prochaines
années. C’est donc un enjeu essentiel surtout dans la situation de crise internationale majeure que subissent la France et le monde actuellement.
Environ quatre électeurs inscrits sur cinq l’ont compris et sont donc allés voter contrairement aux
pronostics les plus pessimistes, ce qui est heureux.
Ce qui l’est moins, c’est que contrairement à 2007, cette bonne participation n’a pas handicapé les
candidatures situées dans les extrêmes, bien au contraire.
Quatre rapides impressions : grande déception du score historiquement bas de François Bayrou qui fait autour de 9% alors qu’en 2007, il avait fait le double (18,6%) et qu’il comptait bien
bousculer le jeu bipolaire ; très fort score de Marine Le Pen qui atteint un nouveau sommet pour le FN ; aucune surprise sur les deux finalistes ;
enfin, le second tour sera serré, malgré les premières indications des sondages d’après premier tour (qui donnent une victoire de François Hollande entre 54 et 56%).
1. François Bayrou : baisse historique
Depuis mars 2012, François Bayrou n’a cessé de baisser dans les sondages et il a eu un résultat encore plus
faible que celui des derniers sondages. L’explication est toujours difficile à établir : la situation de crise encourage la démagogie provenant des extrêmes, et sa campagne manquait à
l’évidence de dynamisme. Il fallait qu’il cognât. La campagne a été violente de la part de la majorité des candidats et François Bayrou avait refusé la polémique ou les invectives, ce qui est
sans doute un tort dans une guerre de positions (c’est aussi son honneur d’avoir tenu une campagne digne).
Par ailleurs, contrairement à 2007, et pour éviter l’épuisement de la mi-mars, François Bayrou avait refusé
de partir en campagne trop tôt, ne commençant sa série de meetings que le 25 mars 2012, c’est-à-dire
après l’obligation d’égalité des temps de paroles des candidats. Il aurait dû la commencer entre le départ de François Hollande (22 janvier 2012) et le départ de Nicolas Sarkozy (15 février 2012), une fenêtre médiatique qui n’a pas pu se renouveler.
La réaction de François
Bayrou lors de la tuerie de Toulouse a-t-elle eu une conséquence ? Difficile de le dire mais je suis convaincu qu’il a eu raison de s’exprimer comme il l’a fait à Grenoble le 19 mars
2012. Son analyse était valable quel que soit le coupable des tueries et la presse l’a d’ailleurs largement saluée.
La campagne de François Bayrou s’est révélée payante pour l’ensemble du débat national puisque la plupart de
ses thèmes ont été repris par ses concurrents.
Que va-t-il faire ? La situation paraît moins avantageuse pour lui qu’en 2007 mais peut-être
réagira-t-il plus habilement. Il a adopté une attitude claire : des questions aux deux finalistes et une prise de responsabilité.
De toute façon, il n’est pas propriétaire de ses voix et il ne pourra pas adopter une position qui satisfasse
tous ses soutiens. Déjà, Jean-Luc Benhamias a ouvertement annoncé son choix en faveur de François Hollande alors qu’il n’est pas un secret que Jean Arthuis, par exemple, se prononcera dans
quelques jours en faveur de Nicolas Sarkozy.
Dans ces conditions, comment pouvoir réunifier les centristes dispersés entre l’UMP et le PS ? Ce sera
une tâche délicate de François Bayrou et sans doute sa seule mission politique pour les élections législatives : imaginer un label commun entre tous les centristes, probablement à partir
d’une déclaration commune de valeurs.
2. Marine Le Pen autour de 18%
Le score du FN est historiquement haut. C’est une évidence qu’il faut admettre pour comprendre l’avenir. La
candidature de Marine Le Pen fut donc sous-estimée par les sondages malgré les corrections qui avaient surestimé Jean-Marie Le Pen en 2007 (10,4%).
Il semble également notable que le vote pour Marine Le Pen est de plus en plus d’adhésion et de moins en
moins de protestation. Ce qui est grave dans un certain sens. Son objectif est tout simplement l’éclatement de l’UMP. C’est pour cette raison qu’il y a de fortes chances pour que même en cas
d’échec de Nicolas Sarkozy, l’UMP reste en l’état à court terme, pour une question de survie politique.
D’un point de vue symbolique, le score de Marine Le Pen est comparable au total Jean-Marie Le Pen et Bruno
Mégret de 2002 (19,2%) mais ne parvient pas à se qualifier pour le second tour à cause d’un écart trop important avec le candidat arrivé en deuxième. Cela prouve également que le vote Le Pen n’a
pas vraiment d’utilité sinon à empêcher de gouverner en rond. C’est d’ailleurs le but affiché de Marine Le Pen : prendre le leadership de la future opposition.
Le total des votes extrêmes est d’environ 31%, soit situé entre 2002 (39,0%) et 2007 (19,3%), comme
d’ailleurs le taux de participation. Il est en fait comparable à celui de 1995 (28,9%). En 1988, ce total faisait 25,7%.
3. Match François Hollande vs Nicolas Sarkozy
L’écart est très serré entre les deux candidats et chacun pourra y voir une part heureuse. D’un côté,
François Hollande peut se réjouir que pour la première fois, un Président sortant n’est pas premier au premier tour. Mais Nicolas Sarkozy peut également rappeler que son score est nettement
supérieur à celui de Jacques Chirac au premier tour du 21 avril 2002 (19,8%).
Il est faux de dire que pour le candidat socialiste, c’est un score historiquement haut. François Mitterrand avait fait par exemple nettement plus en 1974 (43,2%) et cela même en comptabilisant les voix
de Jean-Luc Mélenchon, mais également en 1988 (34,1%). Vu l'état de détestation du candidat sortant dans l'opinion, on aurait pu imaginer un score au-delà de 30% pour son concurrent direct et
surtout, un écart plus grand que les quelques pourcents que les résultats partiels lui attribuent en avantage.
Cependant, l’élection de 2012 pourrait se profiler comme celle de 1981 avec la grande difficulté du candidat
sortant à renouveler son positionnement pour redonner espoir dans une situation de crise très grave et d’usure du pouvoir.
Je pense que rien n’est joué même si François Hollande reste le favori (ce qui est le cas depuis la chute de
DSK en mai 2011).
4. Jean-Luc Mélenchon : capitulation sans condition
Le score de Jean-Luc
Mélenchon est plus faible que les sondages l’envisageaient mais en se hissant au-dessus de 10%, il fait quand même un résultat nettement meilleur que le PCF depuis 1988. Pourtant, on peut
aussi reprendre le total PCF-extrême gauche et constater que le total de 2012 est à peine supérieur à celui de 2007 (8,9%) et inférieur à celui de 2002 (13,9%).
La déclaration de Jean-Luc Mélenchon du 22 avril 2012 a été très claire : aucune négociation et vote
pour François Hollande dans un seul but, battre le candidat sortant. Il est assez étrange d’imaginer les électeurs de Jean-Luc Mélenchon obéir ainsi à des consignes de vote qui pourrait sentir le
parfum de la trahison : comme prévu, la candidature du Front de gauche avait pour but de rabattre les électeurs dans le giron socialiste. Pourtant, les électeurs d’Arnaud Montebourg à la primaire socialiste avaient déjà connu cette mésaventure. Les leçons doivent être répétées
sans cesse pour être apprises…
5. Et les autres ?
Les autres ont des scores légèrement supérieurs à ceux prévus par les sondages. La plus à plaindre est sans
doute Eva Joly qui aurait mérité plus de voix mais dont la manière de faire campagne a été
considérablement contreproductive.
Nicolas
Dupont-Aignan et Philippe Poutou peuvent se réjouir d’avoir dépassé le 1%, ce qui n’était pas évident
au début de la campagne.
6. Maintenant, la campagne du 2e tour
Inutile de dire que les deux semaines qui vont venir seront violentes. Nicolas Sarkozy mettra toute son âme
dans la bataille de ce second tour. Son problème est multiple.
D’un point de vue arithmétique, il est donné largement perdant car il n’a quasiment aucune réserve de voix,
au contraire de François Hollande. Et avec la soumission inconditionnelle de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly, l’UMP perd un argument de poids : la possible influence du PCF sur la politique
que pourrait mener le PS. Pourtant, le Font de gauche est prêt à rendre difficile la vie d’un éventuel gouvernement socialiste et il n’est pas impossible qu’il y ait des grèves pour capitaliser
le score de Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas un hasard si le prochain rendez-vous politique de l’ex-candidat communiste est maintenant le 1er mai.
D’un point de vue thématique, le choix de Nicolas Sarkozy va être très délicat aussi à faire (et il faudra
qu’il choisisse rapidement). Cela déterminera d’ailleurs probablement mon vote du 6 mai : va-t-il chercher à récupérer une partie de l’électorat de Marine Le Pen ou va-t-il plutôt se
recentrer pour s’assurer d’une majorité des électeurs de François Bayrou ?
La soirée électorale a malheureusement donné un petit aperçu : dès 20h00, Jean-François Copé a en effet comptabilisé sans scrupule le FN dans l’électorat de la droite, en additionnant purement et simplement UMP et FN. Les responsables
socialistes présents sur le plateau de TF1 n’ont pas bougé les sourcils. Seule, Cécile Duflot a exprimé sa
surprise d’un tel décompte.
Pourquoi le silence chez les socialistes ? Cela paraît assez compréhensible puisque eux aussi voudraient
récupérer une partie de cet électorat du FN, sur la base de l’antisarkozysme. Les éléments de langage des représentants du PS paraissent assez habiles : expliquer qu’il y a deux types
d’électeurs du FN, ceux qui adhèrent aux thèses de ce parti, et là, il n’y a rien à faire, et ceux qui, déboussolés par la situation économique et sociale, ont cherché à exprimer leur colère, et
à eux, le PS propose le changement. C’est Ségolène Royal qui est chargée d’exploiter ce filon en reprenant
le slogan de sa campagne de 2007, l’ordre juste.
La bataille des débats ne doit pas faire oublier un point essentiel : le candidat favori n’a jamais
intérêt à prendre des risques alors que son rival n’a rien à perdre. En proposant trois débats, un sur l’économie, un sur la société et un dernier sur l’international, Nicolas Sarkozy paraît
raisonnable car les sujets sont nombreux et complexes, sans oublier de souligner néanmoins une certaine hypocrisie puisque le même avait refusé un débat avec ses concurrents avant le premier
tour.
C’est de bonne guerre que François Hollande refuse ces trois débats pour n’en accepter qu’un seul. Pourtant,
ce dernier était d’accord pour qu’il y eût cinq débats télévisés lors de la primaire socialiste. L’élection présidentielle serait-elle moins importante que le choix interne à un parti ? Dans
cette polémique, le PS risque d’y perdre quelques plumes.
7. Maintenant…
Les déclarations des deux candidats qualifiés pour le second tour ont montré qu’ils manquaient de voix, ou
plutôt, que leur voix était quasiment cassée par trois mois de campagne intense. Les deux dernières semaines continueront avec cette même intensité avec ce clivage : le ras-le-bol contre la
personnalité de Nicolas Sarkozy et la peur d’un Président qui n’aurait aucune expérience gouvernementale dans un pays miné par la crise. La prime sera probablement au plus endurant.
En résumé, percée de Marine Le Pen, déception pour Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou, et victoire par
défaut du couple Nicolas Sarkozy/François Hollande. Le candidat socialiste a remporté la première manche, mais il est loin d’avoir gagné la bataille.
Entre la division et l’illusion, je vais avoir quand même un peu de mal à choisir. Et je ne pense pas être le
seul dans ce cas, même si ce n'est peut-être pas pour les mêmes raisons…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (23 avril
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Bayrou.
Marine Le Pen.
Nicolas Sarkozy.
François Hollande.
Jean-Luc Mélenchon.
(Illustrations : tableaux de Salvador Dali).
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-elu-du-6-mai-2012-sera-t-il-l-115292