L’Enigme (inédit)
Autour de ce
qui ne peut être dit
les cendres s’amassent
feuilles et feuilles
brûlées
va-t-il en naître
autre chose qu’un chant
une parole
qui transformerait l’énigme
en scarabée
défaisant le labyrinthe
le parcourant sans fil
dans la poussière
et sur les murs effacés
lumière pure
Les cendres tourbillonnent
autre chose que le cri
peut-il s’élever
au-dessus d’elles
dépasser
l’horizon absolu
retrouver
aux quatre vents
le nom perdu
décembre
éboulis de basalte
sur la terre
Ce qui ne sera
jamais dit
laisse une empreinte
à même le silence
une trace inaltérable
plus tard beaucoup plus tard
sera lu peut-être
en d’autres vies
un amour s’éveillera de l’obscur
une courbe s’ouvrira
Nous nous rencontrons devant un rideau de scène abaissé depuis le début, qui ne sera jamais relevé. Derrière se joue notre vie, parfois une réplique nous parvient isolée, nous ne savons comment l’interpréter.
Nous colmatons les blancs avec de la charpie : bredouillements, ratures, actes manqués. Nous manipulons des accessoires inutiles. Nous essayons des rôles, sans pouvoir vérifier qu’ils sont bien dans la pièce. Quoi d’étonnant à ce qu’il y ait des discordances ?
Le miracle pourtant vient à se produire. L’impromptu. Des bribes de textes disparates en recomposent un autre, si juste, si frémissant, que nous ne pouvons plus douter.
Qui sait alors ce qui se passe de l’autre côté ?
(Extrait de L’évolution des paysages,
Cadex éditions, 2000)
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LES ETOILES A PORTEE DE MAIN
La paupière se soulève
l’œil tient le firmament tout entier
chacun des mondes rendus visibles
porte l’un des noms de notre amour
de l’un à l’autre nous naviguons
nous chantons nous pleurons dans les cordages
le sel se dépose sur les mots
Nous traversons des nuits et des nuits
des lunes dansent
leurs rondes enfantines
leurs rythmes s’emparent
des syllabes égarées
Nous nous enfonçons dans le brouillard
éblouissant où naissent les étoiles
elles palpitent sous nos doigts
elles sont le couvain de ciels futurs
Dans une galaxie très lointaine
nous sommes à jamais adolescents
la lumière dévie sa trajectoire
répète notre image nous multiplie
nous habitons toutes les planètes
nous parlons toutes les langues
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Creuser
De nos
bêches
l’espace-temps
y déterrer
brûlants ou fossiles
des indices
l’univers a une histoire
hors du mirage d’éternité
qui le tenait en suspens
immobile
dans nos lointains
si peu profonds
selon quelles courbes
en remonter le cours
des distances fluides
une géométrie moins bornée
que celle de l’aventure humaine
quelles cordes tendre
que vibrent les dissonances
d’où sont nés les astres
les amas de galaxies
la matière invisible
un savoir insoumis [1]
nous entraîne à chercher au fond du gouffre
la densité des premiers instants
[1] Lorand GASPAR, La maison près de la mer. PAP (Pierre-Alain Pingaud), 1992
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L’INTRADUISIBLE
à Brigitte Gyr
Je ne peux pas écrire
le mot
cri
autrement que syllabe
dans l’ère
pierre lancée
vers la fin du monde
Je ne peux pas écrire
le mot
tombant droit sur terre
rejaillissant dans l’air
frappant au visage
le point
qui contiendrait tous les âges
le temps de toutes les vies
condamnées sans appel
Je rature
sans l’avoir écrit
le mot
qui ne peut pas traduire
les vies sans voix
leur infini
désespoir