C’est une disparition durement ressentie par la communauté aéronautique française : Jacques Noetinger vient de s’éteindre, au terme d’une carrière exceptionnelle de qualité et de diversité. Une vie tout entière au service de l’aviation française, comme pilote dans l’armée de l’Air tout d’abord, créateur et animateur pendant trois décennies de la communication des industriels du GIFAS, collaborateur assidu d’Aviation Magazine puis d’Air & Cosmos ou encore commentateur des salons du Bourget et de meetings nationaux de l’air. C’est lui qui inventa l’appellation «Patrouille de France». Et auteur d’ouvrages qui ont fait date.
Avant tout, il y avait l’homme, sympathique, unanimement apprécié, souriant, plein d’humour et de gentillesse, d’une compétence sans limites. L’industrie aéronautique française lui doit beaucoup, tant il a inlassablement œuvré pour la faire connaître des médias lors du nouveau départ des années cinquante, dans l’Hexagone mais aussi à l’étranger. Il aimait rappeler en toutes occasions «qu’un pays a le rang de son aviation», leitmotiv que partageait sa femme Lilian, elle aussi vouée aux tâches parfois ingrates de communication, chez Sud-Aviation tout d’abord, au GIFAS ensuite (groupement né jadis «union syndicale»).
Jacques Noetinger ne sera en aucun pas oublié. Il a marqué son temps, d’autant qu’il a signé des ouvrages de référence, à commencer par les trois tomes imposants d’un «Histoire de l’aéronautique française» publiée par France-Empire à la fin des années soixante-dix. Cette chronologie minutieuse reste unique et indispensable en même temps qu’elle met en valeur le rôle d’innombrables personnages, pionniers connus ou techniciens de l’ombre. Dès son tout premier livre, «Equipages à l’action», Jacques Noetinger était apparu comme le chroniqueur de toute une époque, ce qu’il confirma éloquemment au fil des titres suivants : «Un Pilote quelconque», tout d’abord, puis «Rencontres des hommes et des ailes», dans «Rigueur et audace des essais en vol», etc., ou encore «Non à l’oubli !», titre qui, à lui seul, constitue tout un programme d’écrivain-historien.
A côté des livres, la presse spécialisée fut constamment très présente dans sa vie. A commencer par le bimensuel Aviation Magazine, créé en 1950, dans lequel il tint longtemps une rubrique très lue, consacrée à des essais en vol d’avions de toutes catégorie, du plus modeste des Jodel aux avions de combat les plus récents. Il informait mais, surtout, il faisait rêver ses lecteurs. Puis, après un accident survenu en 1956 alors qu’il était aux commandes d’un petit Gardan, dont il sortit bien vivant mais sérieusement cabossé, il inaugura une chronique intitulée avec humour «A tibias rompus» et, plus tard, ayant retrouvé sa mobilité mais boitillant, «A pas variables». Bilan : des centaines de papiers et plus de 8.000 heures de vol aux commandes de 176 types d’avions différents.
Très logiquement, dans les années quatre-vingt, sollicité par André Turcat, Jacques Noetinger figura en bonne place parmi les fondateurs de l’Académie nationale de l’air et de l’espace et oeuvra longtemps au sein de sa section Arts, histoire et lettres.
En saluant la mémoire d’un honnête homme, d’un ami cher, d’une relation étroite de plus d’un demi-siècle, c’est beaucoup plus qu’un sentiment de tristesse qui apparaît. Une impression pénible de fin d’époque, les acteurs de ce niveau devenant rares, voire une espèce en voie de disparition. Installé au cœur de la communication aéronautique, Jacques Noetinger était plus qu’une grande figure, le précieux représentant d’une manière de faire qui tend dangereusement à s’évaporer.
Une tranche de vie amorcée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui était passée avec élégance de l’ère des pionniers et du souffle des hélices à une modernité joyeuse, volontariste. Une grande industrie avait pris forme sous nos yeux, forte, ambitieuse, internationale mais toujours dominée par la passion. Jacques Noetinger était de cette génération, tout à la fois acteur et témoin, qui relève désormais d’une autre époque.
Pierre Sparaco - AeroMorning