Alain Lambert, sénateur de l'Orne : « Le Code des marchés publics 2006 est le pire d'Europe »
jeudi, 13 mars 2008 09:58
L'ancien ministre délégué au Budget milite pour l'annulation du Code des marchés publics qui est, selon lui, une cause générale de surcoûts financiers pour les collectivités en raison de sa réglementation trop complexe. Il souhaite l'application des seules directives et plaide également pour l'abrogation du délit de favoritisme.
Achatpublic.info : dans votre rapport sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales (1), vous préconisez d'annuler le code des marchés publics au profit des deux directives sur la passation des marchés publics. Pourquoi ?
Alain Lambert : « Bien que le code 2006 se soit rapproché des directives, il conserve des spécificités franco-françaises qui rendent ses règles d'application complexes. Après plusieurs essais infructueux – je parle des différents codes de mars 2001, janvier 2004 et août 2006 – il me semble qu'il serait opportun d'adopter une certaine humilité et de se dire que les seules directives suffisent. L'ajout de règles lourdes, « insécures », coûteuses et qui, de surcroît, suscitent des réactions d'inhibition de la part des agents, se traduit par un mauvais rapport coût/efficacité de l'achat. Je suis effaré de constater d'ailleurs que la bonne gestion des deniers publics arrive en dernière position parmi les grands principes posés par le Code, après la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures. Les deniers publics sont très mal utilisés en France. Les obligations juridiques prennent le pas sur la performance économique de l'achat. Toutes les associations de collectivités que nous avons interrogées dans le cadre du rapport se sont plaintes de cette réglementation. Dès lors qu'elles considèrent que le Code des marchés publics est complexe, il faut les entendre. Ce texte est une cause générale de surcoûts financiers. »
Achatpublic.info : pensez-vous honnêtement qu'une telle perspective est envisageable ? N'est-ce pas un voeu pieu ?
Alain Lambert : « Non. C'est une disposition très facile à mettre en oeuvre. Il suffit d'abroger le Code. J'ai déjà présenté mon travail devant le directeur de cabinet de François Fillon et devant le comité de suivi de la RGPP (ndlr révision générale des politiques publiques) présidé par Claude Guéant. La proposition n'a fait sursauter personne. Et en tant que président de l'association des maires de l'Orne, mon département, je peux vous dire que je suis applaudi à chaque fois que j'en parle. Le code 2006 est le pire d'Europe. La direction générale de la concurrence à Bruxelles rit de la France. Nous sommes l'Etat le plus critique vis-à-vis de son action, nous jugeons qu'elle édicte des règles trop compliquées alors même que avons ajouté aux directives des règles nationales ! Nous sommes la risée de l'Europe entière. »
Achatpublic.info : les acheteurs se plaignent d'avoir eu à subir plusieurs réformes en peu de temps et demandent une pause.Ne pensez-vous pas que votre proposition conduirait à perturber leur travail plus qu'à le simplifier ?
Alain Lambert : « En partant de ce principe, on ne change jamais rien. Il ne faut pas rester sur le plus petit dénominateur commun. »
Achatpublic.info : vous occupiez le poste de ministre délégué au budget au moment de la réforme du Code 2004. Pourquoi ne pas avoir mis en pratique votre proposition à l'époque?
Alain Lambert : « Je l'ai demandé et vivement recommandé, mais l'arbitrage de Francis Mer qui était alors le ministre des Finances m'a donné tort. J'ai été battu par les technocrates du Conseil d'Etat détachés à Bercy. Le clou de la kermesse, c'est que ceux qui ont rédigé le Code 2004 n'ont pas été capables de lancer correctement par la suite le marché relatif à la mise en place d'un nouveau système d'information pour la LOLF (2). »
Achatpublic.info : vous souhaitez par ailleurs l'annulation du délit de favoritisme. Pourquoi ?
Alain Lambert : « Oui. Il faut l'abroger et j'affirme que cette abrogation ne ferait pas disparaître toute possibilité de sanction pour les faits les plus graves – corruption, trafic d'influence, etc. – pour lesquels existent des incriminations distinctes. Le délit de favoritisme est une spécificité française. Cette infraction est sans équivalent en Europe. En outre, la jurisprudence pénale a contourné la nécessité de démontrer l'élément intentionnel pour que le délit soit constitué. Toute irrégularité formelle au regard des règles relatives à l'achat public suffit à déclencher des poursuites, dès lors que celui qui l'a commise était censé, compte tenu de ses fonctions, connaître la règle et donc l'appliquer correctement. Les conséquences sont gravement nocives pour l'activité administrative : le souci de se protéger contre une mise en cause pénale conduit les agents et les élus à interpréter de façon très restrictive la réglementation, à refuser systématiquement toute prise de responsabilité aux divers stades de la procédure et à renoncer à toute réflexion sérieuse sur la modernisation de la fonction « achat » des administrations. Or, il y a un intérêt collectif à rationaliser au mieux cette fonction. Près de 71% des investissements publics civils français sont assurés par les collectivités locales. Il faudrait prévoir par exemple un mécanisme de filtre au travers d'une commission qui analyserait s'il y a eu faute intentionnelle ou pas par exemple. En fait, il faudrait que l'abrogation du Code soit combinée avec celle du délit de favoritisme, sinon, je crains que l'inhibition reste la même. »
Achatpublic.info : bien qu'elle soit facultative, vous dites être opposé à toute présence des représentants de l'Etat en CAO. Pourquoi ?
Alain Lambert : « Je trouve surprenant qu'un représentant de la DGCCRF puisse siéger en CAO, signe le PV, pour ensuite soulever des objections sur le marché public en question sans l'avoir indiqué avant. Dans mon Conseil Général, on ne peut en tout cas plus accuser quelqu'un de délit pénal sans risquer d'être poursuivi pour dénonciation calomnieuse. »
(1) Alain Lambert a remis à Matignon, le 7 décembre dernier, un rapport sur les relations Etat/collectivités.
(2) Le projet Accord II visait à mettre le système d'information de l'administration aux normes comptables induites par la mise en place de la réforme budgétaire. Pour ce projet, estimé à 200 millions d'euros, le Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a dû annuler l'appel d'offres avant de le relancer huit mois plus tard.
Lire : Suppression du Code : la commission Lambert persiste et signePropos recueillis par Sandrine Dyckmans achatpublic.info