Je reproduis l'excellent billet de Pierre Bayle sur les récents développements de la Revue Défense Nationale. Celle-ci est une marque, mais qui pâtit justement de son ancienneté : pourtant, c'est elle qu anime le débat défense (elle a eu les déclarations défense des cinq principaux candidats) et elle a lancé une édition anglaise (depuis longtemps) une russe et elle vient de lancer une édition arabe.
Bref, quelques nouvelles de cette revue que vous ne connaissez pas, en fait. O. Kempf
Vénérable institution qui défie les siècles, la Revue de défense nationale cherche un second souffle en s’ouvrant au grand large. Marin aventureux, l’amiral (2S) Jean Dufourcq, responsable et rédacteur en chef de cette revue, a mis le cap sur l’export en développant, après la version internationale en anglais, une version en russe et une autre en arabe, qui rencontrent un succès d’estime en espérant le concrétiser en succès commercial, pour l’instant encore incertain.
Jusqu’ici outil de rayonnement de la pensée stratégique française financé par le ministère de la défense, malgré ses traditionnelles déclarations d’indépendance, la RDN est l’une des victimes collatérales des grands plans d’économie style RGPP qui ont abouti à tarir la manne des subventions aux revues et publications liées à la défense. Pour survivre, la RDN doit apprendre à nager loin du rivage ministériel et, semble-t-il, l’eau est froide car les abonnés français ne suffisent pas, beaucoup ayant été habitués à recevoir gratuitement la revue à travers leur administration.
Le paradoxe est que la pensée stratégique française est riche, comme en témoignent les nombreux blogs et articles publiés ici ou là, notamment par tous les jeunes officiers qui passent par l’Ecole de Guerre, mais cette pensée n’a pas de moyens structurels de rayonnement.
La RDN était menacée de disparition, son lectorat français n’étant plus assez riche ni renouvelé pour garantir un tirage suffisant à équilibrer un budget non subventionné. Dans un premier temps, elle est entrée dans la modernité en se dotant d’un site internet moderne et assez remarquable, puisqu’il est mis à jour beaucoup plus souvent que la publication elle-même, qui reste mensuelle, et publie des cahiers numériques thématiques (sur les OPEX, les valeurs de la marine, les questions nucléaires, etc.).
édition russeL’édition anglaise lancée en 2006 comme magazine n’existe plus aujourd’hui sous format papier, mais uniquement sur Internet : c’est une version payante mise à jour trimestriellement, comme la version française.
La version russe en est à son deuxième essai, avec un numéro un qui a suivi un numéro zéro, et un début de publicité mais pas encore de quoi rentabiliser cette version et lui assurer la pérennité, malgré un intérêt
L’édition en arabe en est à son numéro zéro, sous forme d’un magazine papier qui a été diffusé à tous les attachés de défense français dans les pays arabes et en particulier dans le Golfe. Ce premier numéro porte sur la stratégie occidentale avec des signatures connues, comme l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine (ci-contre à droite). Le prochain traitera notamment de l’arme nucléaire avec des articles sur la dissuasion, la prolifération, les boucliers anti-missiles balistiques, etc.
Ces éditions en langues étrangères sont une clé du rayonnement non seulement de la RDN, mais de la pensée stratégique française elle-même. Cela suppose bien entendu une adaptation du contenu, pour l’instant essentiellement traduit depuis l’édition française, en collant davantage aux besoins et aux centres d’intérêts des pays visés. Pour l’édition arabe, si la RDN veut réussir l’expérience lancée il y a déjà dix ans par la lettre hebdomadaire d’informations stratégiques TTU avec sa version “TTU Monde arabe”, cela passe par une rédaction plus concise, plus actuelle, moins académique, et surtout des sujets traitant directement des intérêts stratégiques régionaux.
Accessoirement, mais c’est le cas général de la RDN toutes éditions confondues, la revue ne pourra survivre que si elle sort d’un système essentiellement fondé sur le volontariat d’officiers généraux en deuxième section, la revue ne pouvant pour l’instant payer des salaires. Si elle veut fidéliser ses responsables éditoriaux et compter sur des compétences professionnelles, comme dans le cas de l’édition arabe où le rédacteur en chef bénévole n’aura fait qu’un seul numéro, il faudra développer un modèle économique permettant de couvrir les frais de rédaction au-delà des frais techniques d’édition et d’impression, et l’amiral en est parfaitement convaincu, d’où son dialogue avec les industriels potentiellement intéressés par un tel outil de rayonnement français à l’étranger.
Le développement le plus spectaculaire, même s’il n’est pas encore rentabilisé, reste la dimension « on line » de la RDN, avec un webmaster dynamique et des partenariats inventifs. L’accord passé avec le portail spécialisé dans la défense "Theatrum Belli" a permis ainsi, en un temps record, d’afficher des chiffres de fréquentation étonnants. Ainsi le numéro zéro de l’adition arabe, mis en ligne en accès gratuit pour tester la formule, a été vu 13.000 fois. Pour le revue en russe, les deux numéros (zéro et un) ont été vus près de 22.000 fois. L’édition anglaise étant payante, les chiffres ne sont évidemment pas les mêmes. Mais un tel type de partenariat apporte à la revue ce qui lui manquait depuis des lustres : un lectorat rajeuni et beaucoup de militaires en activité, ainsi que la communauté des chercheurs, y compris les jeunes, dans les enseignements et les instituts de stratégie.
Preuve supplémentaire, les « cahiers » spéciaux de la RDN mis en ligne à travers Theatrum Belli, par des liens vers le site de la RDN, ont également de forts succès d’audience : 21.000 lecteurs pour le cahier sur les valeurs de la Marine, 12.000 lecteurs pour le cahier reproduisant le numéro de la RDN daté de mai 1939, et on peut imaginer que le cahier à peine mis en ligne par la Revue sur la position des candidats à l’élection présidentielle sur les problèmes de défense fera lui aussi un score superbe, grâce à l’écho apporté par « TB » - un site passionnant, dont le seul défaut est qu'on ne peu pas l'ouvrir avec Internet Explorer, il faut passer par Google Chrome ou Mozilla Firefox, pour ceux qui cliqueraient sur le lien ci-dessus.
Pierre Bayle