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Vous, je ne sais pas, mais moi, je suis las des déclarations qui commencent ainsi : "Si le théâtre n'est pas la seule entrée pour interroger la politique culturelle d'un gouvernement, il est néanmoins révélateur d'un esprit, d'une attitude, voire d'une idéologie. La raison principale en est que le théâtre constitue dans le monde des arts, le secteur le moins « marchand ».
J’ai néanmoins beaucoup de respect pour le directeur du Théâtre Paris-Bastille ; c’est pourquoi je reproduis ici l’article qu’il vient de publier sur Mediapart
Si le théâtre n'est pas la seule entrée pour interroger la politique culturelle d'un gouvernement, il est néanmoins révélateur d'un esprit, d'une attitude, voire d'une idéologie. La raison principale en est que le théâtre constitue dans le monde des arts, le secteur le moins « marchand ». Certains lui reprochent d'ailleurs son économie jugée archaïque dans une époque de facile duplication des œuvres ou d'accès gratuit. Mais il se trouve qu'en dehors de la salle de théâtre, en dehors de l'endroit où il a lieu « en réalité », le théâtre n'a pas lieu. Le théâtre n'existe que lorsque l'acteur entre en scène devant vous.
Si cet handicap économique nécessite l'aide publique, ce n'est pas sur une faiblesse concrète qu'il peut revendiquer ce soutien, mais sur la force de son indispensable présence. C'est parce que le théâtre n'a lieu que par cette confrontation vivante qu'il propose une expérience unique, non reproductible et démocratiquement sensible. Il y a des conditions, bien sûr, pour que cette expérience ait lieu. Celle que je retiendrai ici est la suivante : que le théâtre ne confonde pas son légitime désir de succès avec l'opinion unanime. Nous savons combien l'unanimité peut devenir le signe de la médiocrité, c'est-à-dire l'évacuation de toute complexité : rechercher la plus belle adresse au plus grand nombre (possible) de spectateurs ne se confond pas avec la transparence du propos. En art, la transparence, c'est le vide.
C'est pourquoi une politique culturelle doit se déduire d'une profonde réflexion sur l'écart entre l'art et la culture, sur les probables divisions qui traversent chacune des assemblées de spectateurs, sur les conditions qui façonnent les sensibilités. L'enjeu est une question de liberté.
Lorsque, l'année dernière, je suis intervenu sur la question de la démocratisation ( Le démocratiseur éd. Les solitaires intempestifs), je dénonçais la tentation de rabattre nos libertés sur une idée (et des pratiques induites) d'égalité appauvrie. Fonder une politique sur le constat inexact d'un échec de la démocratisation culturelle revient à justifier l'abandon de toute ambition artistique. L'inégalité mesurée des pratiques culturelles devait être corrigée, selon cette idéologie, par un abaissement généralisé du niveau, c'est-à-dire par une soumission de l’œuvre aux exigences du marché de masse. Cette politique fait semblant de ne pas voir qu'au cours de cette critique de « l'intimidation » (l’œuvre d'art, la « grande » littérature, etc. sont intimidantes), c'est la liberté et sa face séculière qui sont atteintes, car est dénié le processus de différenciation. Si nous ne sommes culturellement égaux que devant l'indifférencié, alors le marché massifiant peut exercer son emprise sur les consciences en toute... liberté ! Le marché de la culture et du divertissement (que l'on confond à dessein) n'est libre et concurrentiel qu'au prix d'un asservissement des consciences. Il y a donc bien un enjeu politique devant cette question qu'on aurait tord de banaliser. Si, en cinq ans, le sarkozisme n'a pas pu aller au bout de son projet – museler la création au nom de la demande -, ne lui donnons pas l'occasion de l'achever.
Le théâtre ne gagnera rien à substituer au deuil du « populaire » le rêve misérable de l'unanimité pour tous. Je pense au contraire qu'aujourd'hui, il faut aller chercher la construction d'un théâtre vivant, source de débats et de partages, du côté de ce que d'aucuns qualifient de minoritaire. Le politique, les faiseurs de théâtre et les médias devraient y songer. Un grand débat sur cette question serait le bienvenu. Rédacteurs en chef et critiques devraient y prendre part car, à Paris particulièrement, la médiatisation des œuvres reste un éclairage indispensable. Il s'agit toujours d'éclairer – au sens des Lumières – un débat contradictoire.
Nous attendons donc d'une politique culturelle qu'elle se défasse de la mauvaise conscience inégalitaire, source de « privatisation » des sensibilités. Cela se traduirait par l'exacte contraire du renoncement à « égaliser » par le haut, c'est-à- dire par un développement de la création et celui, simultané, des voies qui la rendent accessible. Il y faut un effort constant : cette tâche est noble en ce qu'elle est indéfinie. Au temps court du résultat calculable, il faut substituer l'ambition au long cours.
Résister commence par la résistance à l'uniformité consumériste.
Jean-Marie Hordé
Avril 2021
Copyright J.M. Hordé Mediapart
Résister, certes ! Mais sans esquiver le débat, voire la polémique. "L’étatisation de la culture a donné naissance à de petits milieux institutionnalisés qu’il est extrêmement difficile de faire travailler ensemble. Les logiques de financement public viennent même dissuader ceux qui veulent œuvrer dans ce sens".
Ainsi s’exprime, sans détours, Gérard Noiriel dans la dernière note publiée sur son blog :
La « culture populaire » : une référence absente de l’élection présidentielle
Etant donné que la question du « populisme » a été au cœur des polémiques publiques au cours des derniers mois, on aurait pu penser que la « culture populaire » serait un objet de débat pendant la campagne des élections présidentielles. Mais force est de constater qu’il n’en a rien été, pas même à gauche.
(…)
Paradoxalement, la dernière tentative visant à débattre publiquement de ce sujet est venue de la droite. En 2010, un rapport rédigé par le cabinet de Frédéric Mitterrand, intitulé La culture pour chacun, s’appuyant implicitement, et pour les besoins de sa cause, sur les analyses critiques de Pierre Bourdieu, voire sur celles de Jacques Rancière, reprochait aux "élites" d’avoir imposé aux classes populaires leurs propres normes, contribuant ainsi à une "intimidation sociale" les éloignant de la culture légitime. La "culture pour chacun" apparaissait, dans cette perspective, comme une nouvelle stratégie pour lutter contre les inégalités culturelles en réhabilitant les cultures populaires.
Ce rapport a suscité une véritable levée de boucliers chez les professionnels de la culture. On a reproché au ministère de dresser un bilan négatif de l’action de l’Etat pour justifier les coupes sombres dans les financements publics. Quand on veut noyer son chien on l’accuse de la rage.
En Allemagne, une vive polémique a éclaté récemment autour des mêmes enjeux. Les auteurs de l’ouvrage intitulé Der Kulturinfarkt(L’infarctus culturel) tentent eux aussi de réhabiliter l’économie libérale en matière culturelle en dénonçant l’incapacité des pouvoirs publics à combattre les inégalités. Selon eux, 10 milliards d’euros d’argent public sont dépensés chaque année pour la culture, mais cette manne ne bénéficie qu’à 10% de la population allemande. Pour résoudre cette injustice, ils prônent des solutions radicales : fermeture de la moitié des institutions culturelles actuellement en service et recours massif au mécénat privé.
Comme on le voit à travers ces deux exemples, ce sont aujourd’hui les gouvernements de droite et les penseurs libéraux qui invoquent la « culture populaire » pour refonder la politique culturelle. La gauche, qui a pourtant joué un rôle moteur tout au long du XXe siècle dans la démocratisation de la culture, semble tétanisée. Ses représentants préfèrent ne pas voir qu’il existe aussi des formes de domination sociale au sein de cet univers. Ils ne proposent donc aucune solution nouvelle pour réduire la « fracture culturelle ».
(…)
Travaillant depuis trois ans avec des artistes, des chercheurs en sciences sociales et des militants associatifs sur des spectacles qui s’adressent au premier chef à des publics populaires, j’ai pu constater dans toutes les villes de France où nous sommes passés la force de ce clivage et l’ampleur des frustrations accumulées. Même s’il existe des endroits où les deux milieux parviennent à travailler ensemble, le plus souvent les travailleurs sociaux qui développent des actions socio-culturelles dans les quartiers ont le sentiment d’être méprisés par les institutions culturelles légitimes, et utilisés par les artistes quand ceux-ci ont besoin de remplir leurs « quotas » de spectateurs issus du peuple et de la « diversité ».
On ne cesse de nous répéter que la finalité civique de la culture est de renforcer le lien social, mais les professionnels du monde culturel donnent chaque jour l’exemple du contraire. L’étatisation de la culture a donné naissance à de petits milieux institutionnalisés qu’il est extrêmement difficile de faire travailler ensemble. Les logiques de financement public viennent même dissuader ceux qui veulent œuvrer dans ce sens.
(…)
Défendre l’idéal de la « culture pour tous » nécessite aujourd’hui de combattre les effets négatifs de l’étatisation de la culture. Plutôt que de laisser ce rôle au marché, l’Etat doit montrer qu’il peut aussi agir contre lui-même pour résoudre ses crises internes. Le meilleur service qu’un gouvernement de gauche pourrait rendre aujourd’hui à la culture populaire serait d’œuvrer au renforcement des liens entre les différents acteurs institutionnels de la sphère culturelle, en faisant en sorte qu’ils aient intérêt à travailler ensemble. .
On l’aura compris, c’est tout l’article qu’il faut lire, et avec la plus grande attention. C’est ici.
Il n’est donc pas trop tard pour signaler à ceux qui disposent d’un peu de temps libre, l’heureuse initiative de doctorants de l’Université de Versailles Saint-Quentin :
Culture populaire et/ou culture grand public? De la subversion au marketing (XIXe-XXIe siècles)
Mercredi 23 mai 2012, de 9h30 à 17h30
Quels seraient les enjeux d'une mise en parallèle entre culture populaire et culture grand public ? S'agit-il d'une distinction entre logique éducative et logique de marché, ou d'une confrontation entre authenticité d'un côté, et séduction du marché de l'autre? Les termes formulés appellent inévitablement celui de culture de masse dans son rapport à la modernité.
Constatant les confusions existantes entre culture populaire et grand public, les conflits sémantiques et idéologiques constitueront un axe d'analyse essentiel. On sera particulièrement attentifs aux luttes de définition et aux enjeux de labellisation. On le sait, le champ culturel est animé par un déplacement permanent des frontières au sein de « la culture », de redéfinition des hiérarchies. Certaines manifestations de résistances aux cultures dominantes sont parfois qualifiées de « populaires », en oppositions aux cultures officielles. Des labels comme « underground », « rock alternatif », et même « nanar » deviennent ainsi des outils de distinction. Mais les processus de reconnaissance, au sein desquels il faudra étudier l’action des entrepreneurs culturels, peuvent être –et sont- souvent interprétés comme des phénomènes de « récupération » et de routinisation. Au vu de ces reconversions, on peut être tenté de se demander si toute contre-culture est destinée à être absorbée par le système culturel dominant.
Née d'observations faites aux cours de nos travaux respectifs, cette journée d'études a pour objectif de développer de telles problématiques, tout en favorisant la rencontre entre de jeunes chercheurs venus d'horizons et de disciplines différentes.
Plus d’informations et le programme
Fils d'actualités très vivement conseillés :
La lettre du réseau culture sur Territorial.fr
Le "netvibes" de l'Observatoire des politiques culturelles
Les net-actualités sur le site d'Arteca
Le tableau de bord des Think tank (Netvibes)
Le calendrier francophone en sciences humaines et sociales, Calenda
CD Org, la veille de Christophe Demay
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