À la veille du premier tour de l’élection présidentielle, des différences notables apparaissent entre les enquêtes des différents instituts, qu’il faut mettre à plat afin de mieux les comprendre.
Le verdict des dernières intentions de vote
Les derniers sondages de chaque institut de sondage présentent des résultats qui peuvent paraître assez différent, tant en ce qui concerne le niveau des candidats, leur ordre d’arrivée et l’évolution par rapport à la précédente vague d’intentions de vote.
Premier constat, les résultats de l’ensemble des prétendants à l’Élysée sont compris dans des fourchettes assez étroites, inférieures en tous cas à la marge d’erreur qui s’applique théoriquement à ce type d’étude. Ainsi, François Hollande obtiendrait entre 27% et 30% des suffrages, Nicolas Sarkozy entre 25% et 27,5%, Marine Le Pen de 14% à 17%, Jean-Luc Mélenchon de 12% à 15%, et François Bayrou voit ses résultats compris entre 10% et 11%. Quant aux petits candidats, l’écart dans leurs résultats est au plus de 1 point entre les différentes enquêtes. Ainsi, les sondages nous donnent une idée assez précisé du niveau des différents candidats, même si bien entendu une configuration portant François Hollande à 30% et Nicolas Sarkozy à 25% n’aurait pas les mêmes conséquences que si ces chiffres étaient respectivement de 27% et 27,5%… Reste à vérifier, bien entendu, si tous les candidats seront bien compris dans ces fourchettes.
L’ordre d’arrivée des candidats, très incertain la semaine passé, semble désormais un peu plus clair. Le candidat socialiste est donné en tête par cinq instituts sur huit : LH2, CSA, BVA, Harris Interactive et IPSOS. Parmi eux, il bénéficie d’une avance conséquente chez CSA (3 points) ainsi que chez BVA et IPSOS (3,5 points chacun), alors que LH2 et Harris Interactive ne lui donnent que 0,5 point et 1 point d’avance. Par ailleurs, trois instituts estiment que François Hollande se trouve à égalité avec le président sortant (OpinionWay, TNS Sofres, Ifop), et il est à noter que plus aucun ne place Nicolas Sarkozy en tête du premier tour. Toutefois, le candidat de l’UMP dispose d’un atout majeur : son électorat est plus âgé que la moyenne, une variable dont la sociologie électorale montre depuis longtemps qu’elle est liée à un fort niveau de participation. Si par ailleurs, l’électorat de gauche, encouragé par ces dernières enquêtes d’opinion, estimait la victoire acquise et s’abstenait ou se portait sur d’autres candidats, on pourrait imaginer voir Nicolas Sarkozy passer en tête du premier tour.
Quant à la médaille de bronze, un temps disputée à Marine Le Pen par François Bayrou, puis par Jean-Luc Mélenchon, elle semble clairement devoir être attribuée à la présidente du Front National. Celle-ci est désormais devant le leader du Front de Gauche dans sept sondages sur huit, et l’écart séparant les deux candidats est parfois important (3 points pour OpinionWay, 4 points pour Harris Interactive et TNS Sofres). Ceci d’autant plus que si l’électorat frontiste reste difficile à appréhender pour les sondeurs, on l’imagine mieux être sous-estimé comme en 2002 que surestimé comme en 2007. En effet, le contexte actuel où le candidat de la droite modérée est le président de la République sortant, que sa cote de popularité reste basse et qu’une majorité de Français sont désormais convaincus de la victoire de son adversaire socialiste crée une configuration qui favorise sans doute un vote purement expressif et non pas tactique de la part des électeurs situés aux confins de l’UMP et du FN. À l’inverse, on ne voit pas tellement quel biais de désirabilité sociale empêcherait les sondés tentés par un vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon de confier lors intentions aux enquêteurs, provoquant une sous-estimation du candidat du Front de Gauche.
A ces questions du niveau des candidats et de leur ordre d’arrivée, on doit ajouter celle de leur dynamique dans les derniers jours de la campagne, afin de tenter d’éviter d’être pris par surprise dimanche soir. Sur ce point, on note une assez grande incohérence entre les sondeurs, qui attribuent aux différents candidats des évolutions très divergentes par rapport à leur précédente vague d’intentions de vote. Toutefois, si on fait la moyenne des évolutions de chaque candidats, on constate que la plupart stagnent (Eva Joly, François Bayrou, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon) quand certains progressent légèrement (Nicolas Dupont-Aignan), voire sensiblement (Philippe Poutou), alors qu’à l’inverse d’autres régressent, faiblement (Nathalie Arthaud, François Hollande) ou plus nettement (Nicolas Sarkozy). Ces indications restent à prendre avec précaution, mais elles pourraient expliquer une surprise toujours possible dimanche soir.
Quelles sont les différences entre les instituts ?
Pendant toute la durée de la campagne, les commentaires visant à analyser les sondages ont été très nombreux. Certains ont cru noter que des instituts favorisaient des candidats ou des partis, une affirmation peu plausible étant donné le peu d’intérêt qu’il y aurait pour les sondeurs à modifier leurs données, prenant le risque de considérablement s’éloigner des résultats de l’élection. Il n’en reste pas moins que certains instituts peuvent donner des chiffres régulièrement plus favorables à certains candidats qu’à d’autres, une conséquence probable de leur méthodologie (téléphone ou Internet), de leurs cibles (inclusion ou non de téléphones mobiles), de la qualité de leurs terrains, etc.
En faisant la moyenne des sondages publiés depuis 2010, et en comparant les moyennes des enquêtes réalisées par téléphone et par Internet, ainsi que celles effectuées par chaque institut (concernant le rolling de l’Ifop, on a pris en compte es échantillons ne se chevauchant pas seulement), on peut avoir une idée des différences existant entre les sondeurs (pondérer les moyennes par la taille des échantillons ne change que très peu les chiffres).
Comme plusieurs commentateurs l’avaient noté au cours de la campagne, les enquêtes réalisées par Internet semblent placer Marine Le Pen a un plus haut niveau que celles faites par téléphone (17,9% en moyenne contre 16,2%), les sondés ayant logiquement moins de réticence à confier leur vote à une machine qu’à un enquêteur. On constate par ailleurs que les enquêtes par téléphone favorisent plus la gauche au premier tour (43,6% contre 41,8%), et François Hollande au second tour (57,3% contre 55,7%). Il y a peu d’autres différences notables entre les sondages réalisés selon ces deux méthodologies.
Au niveau des différences entre instituts (les « house effects » bien connus des américains), on note tout d’abord que Jean-Luc Mélenchon est mesuré de manière très stable (entre 8,4% et 9,1%). En revanche, François Hollande est plus haut que la moyenne pour BVA et LH2 et plus bas pour TNS Sofres et Harris Interactive) ; Nicolas Sarkozy est mesuré plus bas par IPSOS, mais plus haut par OpinionWay et TNS Sofres ; Marine Le Pen est quant à elle mise sensiblement plus basse que la moyenne par BVA, et nettement plus basse par LH2, alors que Harris Interactive et l’Ifop la mesurent à de hauts niveaux. Au second tour, si BVA et IPSOS jugent que la victoire de François Hollande sera très large, Harris Interactive et OpinionWay estiment qu’elle sera plus mesurée (mais tout de même historique).
En dehors des différences méthodologiques (téléphone ou Internet), il est difficile de dire à quoi sont dues ces variations. Elles ne sont bien entendu pas le signe d’une mauvaise qualité des sondages réalisés, puisqu’il ne s’agit là que d’une moyenne, prenant en compte des sondages anciens, et surtout puisque les résultats ne sont toujours pas connus et qu’ils se situeront peut-être aux extrêmes des fourchettes présentées. En revanche, elles permettent de relativiser ou de confirmer les dernières intentions de vote réalisées avant le premier tour. Ainsi, le fait que BVA place François Hollande en tête avec 30% des voix (le plus haut niveau) ne doit pas surprendre, pas plus que le haut niveau donné par OpinionWay à Nicolas Sarkozy (27,5%).
Les évolutions au cours de la campagne
Ces particularités liées aux différents instituts ont eu beau perdurer tout au long de la campagne pour la plupart, tous ont noté des évolutions parallèles depuis qu’ils sondent l’élection présidentielle.
Ainsi, François Hollande, parti de très bas dans les sondages (il en était de même pour les sondages sur les primaires socialistes), a connu une progression liée à son entrée en campagne (31 mars 2011), puis accélérée par l’affaire Dominique Strauss-Kahn (14 mai 2011), qui lui permet de remplacer l’ancien directeur du FMI dans le rôle de front-runner de la course présidentielle, et enfin confirmée par sa nette victoire aux primaires (9 et 16 octobre 2011), qui lui fait tutoyer les 40% d’après plusieurs instituts. Toutefois, dès novembre, une décrue lente mais régulière lui fait quitter ces niveaux stratosphériques pour repasser, en début d’année, sous les 30%, malgré le rebond lié au lancement de sa campagne au Bourget (22 janvier 2012).
Le président sortant, bénéficiant de son statut et des incertitudes sur le candidat socialiste, était en tête pendant l’année 2010, avant de chuter sous la barre des 25% début 2011, sans doute sous la double pression de François Hollande sur sa gauche et de Marine Le Pen sur sa droite. Dès la mi-2011, Nicolas Sarkozy entame cependant une lente mais régulière remontée, qui s’accélère après son entrée en campagne (15 février 2012) au point de prendre la tête dans certains sondages à partir de la mi-mars.
Marine Le Pen a incontestablement tiré parti de son accession à la tête du Front National (16 janvier 2011) et des bons résultats, au moins en voix, de sa formation aux élections cantonales des 20 et 27 mars 2011. Cette progression lui permet un temps d’envisager d’accéder au second tour, puis se stabilise entre 15% et 21% des voix de mai 2011 à janvier 2012. Le lancement de la campagne de Nicolas Sarkozy provoque un nouveau fléchissement, qui la situe à en moyenne 16% des voix avant le scrutin.
Bien peu d’observateurs auraient sans doute parié sur une percée de Jean-Luc Mélenchon il y a deux ans. Toutefois, le leader du Front de Gauche a su faire le vide sur sa gauche avec l’annonce par Olivier Besancenot de son intention de ne pas représenter le Nouveau Parti Anticapitaliste à l’élection. Il a ainsi pu profiter seul de la radicalisation d’une partie de l’électorat de gauche dans un contexte de crise et de la modération affichée par François Hollande, progressant de plus en plus rapidement : 5% en moyenne jusqu’en septembre 2011, passage de la barre des 10% au début du mois de mars 2012, puis rapide progression qui l’a amené jusqu’à un score de 17%, même si les derniers sondages le placent autour de 14% des voix.
À l’inverse, cette campagne aura été une déception pour les partisans de François Bayrou. Après les échecs du MoDem à toutes les élections intermédiaires organisées depuis 2007, il se situait entre 5% et 10% des intentions de vote pendant toute l’année 2010 et 2011, avant de faire une percée dans la foulée de sa déclaration de candidature (7 décembre 2011) qui le fait approcher des 15%. Toutefois, une fin de campagne très polarisée entre la droite et la gauche ne lui a pas vraiment permis de porter le message centriste, et il se situe aujourd’hui sur la barre des 10%.
Ces évolutions contrastées ne doivent toutefois pas en masquer une, plus générale : le très haut niveau de la gauche au premier tour de l’élection présidentielle. L’ensemble des candidats de gauche se sont tout au long de la campagne situés à un plus haut niveau qu’en 2007 (36,4%). Surtout, à partir de la mi-mars, la percée de Jean-Luc Mélenchon leur a permis de rivaliser avec la droite, voire de la dépasser dans la plupart des enquêtes réalisées dans les derniers jours de la campagne. Si le score cumulé des candidats de gauche dépassait dimanche soir celui des candidats de droite, ce serait un évènement historique pour une élection présidentielle sous la Vème République. Une telle configuration confirmerait par ailleurs la dynamique générale de la gauche depuis l’entrée à l’Élysée de Nicolas Sarkozy, puisque les deux élections à caractère national qui se sont tenues depuis lors (européennes de 2009 et régionales de 2010) ont aussi été les premières depuis les législatives de 1978 à voir la gauche dépasser la droite au premier tour.
Dans ce contexte de haut niveau de la gauche au premier tour, Nicolas Sarkozy aura absolument besoin de très bons reports de voix des électeurs centristes et frontistes pour espérer l’emporter au second tour. Certes, son entrée en campagne lui a permis d’engranger des points au sein de ces deux électorats, et donc de progresser dans les sondages pour le second tour. Mais il reste toutefois à un niveau encore inférieur à celui de 2007 tant parmi les électeurs de François Bayrou que chez ceux de Marine Le Pen. In fine, au rythme où vont les choses, Nicolas Sarkozy ne peut espérer l’emporter qu’aux alentour de septembre prochain, comme le montre le graphique ci-dessous. Un coup d’accélérateur sera donc indispensable dans l’entre-deux tours. Reste à savoir s’il est possible.