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Effah Charline, Percées et Chimères.

Par Ferrandh

Effah Charline, Percées et Chimères. dans Effah Charline Effa-Charline-Perc%C3%A9es-et-Chim%C3%A8res1-300x300« Garde-toi de ramener à l’existence les ombres de la fatalité », p.185.

« Le temps et les circonstances érodent nos convictions. Ils ont cette force de faire pâlir notre orgueil et de finalement nous ramener à la réalité », p.168.

Charline Effah, gabonaise installée à Paris – où elle obtint un doctorat en Lettres Modernes -, convie son lecteur dans son univers romanesque avec un premier ouvrage, Percées et Chimères : un titre aux saveurs des mythes helléniques où le destin – sa réalité, sa nature – est la thématique centrale de l’œuvre. Un destin, ici, accordé au féminin avec la jeune étudiante, Mélina, le personnage principal du roman, qui aspire à l’émancipation ; un dessein qui semble bien difficile à satisfaire au regard de ce que lui réserve une Afrique urbaine soi-disant progressiste, mais faisant toujours la part belle à l’homme, le sempiternel sujet dominant et vainqueur sans surprise de ce rapport de force sexué ; un assujettissement auquel s’ajoute comme autre obstacle à toute jeune femme ambitieuse, la pauvreté endémique et une corruption sociétale structurelle : bien difficile dans ces conditions d’échapper au destin traditionnel affecté aux femmes, être une bonne mère et une épouse dévouée à son homme.

« Dans ton pays, pas besoin d’être bardé de diplômes si l’on veut réussir. Regarde tous ces gens haut placés qui ne se gênent pas pour piller notre part du pétrole. Eh bien, je te dis qu’ils savent à peine lire et écrire. (…) C’est le destin. Il faut l’accepter. Si encore tu avais trouvé grâce aux yeux d’un grand président-directeur général détourneur de fonds publics et parapublics qui aurait fait de toi son deuxième ou troisième bureau, à la mesure des mouvements nocturnes dont la belle paire de hanches l’aurait gratifié, ça aurait peut-être était négociable. Mais tu n’es pas la maîtresse d’un président-directeur général détourneur de fonds publics et parapublics. », pp 12 et 13.

Confession censée d’une jeune femme en butte permanente avec une mère qui, abandonnée par son époux et vivant dans la pauvreté, voyait dans son unique enfant et ses bons résultats à l’école une porte de sortie à la misère. Désabusée, elle n’a plus qu’un seul désir, voir sa fille se doter d’un destin honorable grâce au mariage et l’enfantement. Qui plus est, l’honneur familial sera sauvegardé. Des vœux que rejette obstinément Mélina sans cependant proposer d’autres alternatives à la tradition… du moins jusqu’à ce que son amie, Diane, l’invite à l’accompagner et consulter un célèbre marabout, Aladji Bakary, afin que leur soit révélé le sens caché des arcanes de leur destin. Et, ô surprise ! le voyant prédit à Mélina une destinée heureuse bien éloignée de son quotidien, puisque à l’étranger, avec une carrière brillante et auprès d’un riche blanc. Augures heureux bien loin du destin funeste réservé à Diane : malheur, fatalité sinistre, l’accompagneront irrémédiablement jusqu’à la fin de ses jours. Un lot de consolation toutefois, elle vivra très vieille alors que Mélina décédera jeune femme (pondération est justice !).

Elucubrations d’un fou ? mensonges d’un arnaqueur professionnel ? peu importe à Mélina ces sinistres réflexions : il est urgent pour elle de courir au cybercafé et de passer une annonce sur un site de rencontres pour ferrer le riche Blanc afin de donner matière à son destin. Et tant pis si comme en Afrique il faut faire plus état de ses qualités plastiques que de celles intellectuelles :

Une copine à Mélina au sujet de la rédaction de sa petite annonce jugée trop portée sur ses qualités… intellectuelles : « Tu sais bien que ce que les hommes blancs aiment chez nous, les Africaines, ce n’est pas notre intelligence. Il n’en ont pas besoin. Les femmes intelligentes sont des casse-pieds. Elles revendiquent tout un tas de droits qui se contredisent les uns les autres. Ce que les hommes blancs apprécient, se sont nos derrières bien rebondis. Il paraît que ça réchauffe durant les froides nuits d’hiver, j’ai lu ça dans un magazine. Et si tu mettais plutôt : « Jeune femme couleur ébène, cambrée et coquine, recherche son prince charmant pour vivre une relation durable et plus si affinités ? » ( sic ! ), p. 51.

Le stratagème est payant ! Elle obtient le billet d’avion pour Paris – première étape de son brillant destin, du moins celui des prédictions – où l’attend un riche jeune homme de bonne famille… qui s’avérera être marié et un pervers sexuel notoire. Sans argent et devant payer une chambre minable à l’hôtel des sinistrés de la vie, « Le bercail » (sic !), son existence n’est plus que sacrifices. Paris, comme sa Libreville natale, est décidément bien dangereux pour ces femmes fragilisées et livrées aux bons plaisirs des hommes qui des deux côtés de l’océan sont à quelques rares et fugaces exceptions au mieux des pauvres hères, le plus souvent d’effroyables ordures : la satisfaction de leurs putrides pulsions sexuelles justifiant chez eux tous les abus. L’Occident n’est pas le deus ex machina tant attendu. Cependant, Mélina continue toujours à croire à son beau destin français : le marabout ne lui a-t-il pas promis un avenir de rêve !

Ce premier roman, Percées et Chimères, de Charline Effah est une belle surprise ; qualité qui aurait pu sembler de prime abord difficile à obtenir tant certaines des thématiques travaillées ici, comme l’exil et l’immigration, peuvent être de prime abord redondantes aux lecteurs. Qu’ils se rassurent, la croisée avec d’autres sujets (violence masculine, interrogations sur le destin) et la sobriété de l’écrit (pas de misérabilisme ostentatoire aux effets lacrymaux de pacotilles) évitent les mauvais écueils. Si on y ajoute des scènes de la vie quotidienne de Libreville dessinées avec cocasse et d’autres d’un humour redoutable ( l’épisode du professeur devant annoncer les résultats de l’examen face à une petite foule estudiantine alors même qu’il est embarrassé par un gros et inopportun mollard est croustillant ), ce roman est un très bon moment de lecture. Une petite critique toutefois : bien que le style soit agréable et délié il apparaît trop retenu. Nous aurions aimé avoir une écriture plus singulière, plus originale ; une plume qui fait que l’écrivain est assuré de sortir du lot… ce qui assurément sera le cas chez Charline Effah avec son prochain opus au vu des qualités indéniables de Percées et Chimères qui la hisse déjà hors des sentiers battus.

Charline-Effa1-100x150 dans _ GABON _Effah Charline, Percées et Chimères, éd. Jets d’Encre, 2011, 204 p.


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