Georg Herold
LAOKOON 1984
Groupe du Laocoon
Rhodes, Ier ou IIème siècle AVJC,
Vatican. Photo Marie-Lan Nguyen
Le Greco, entre 1600 et 1614
Au début du XVIIème siècle, Le Greco reprend le thème dans son fameux tableau qui se trouve aujourd'hui dans les collections de la National Gallery of Art de Washington.Le Laocoon du XXème siècle devient avec Georg Herold un aspirateur posé sur des poutrelles d'acier et diffusant un discours d'Hitler sur l'art dégénéré. On ne peut aborder l'oeuvre de Herold sans les références de l'histoire. Le fait que l'artiste lui ait donné un titre ne permet pas qu'on se limite à la seule vision apparente d'un aspirateur exposé diffusant un discours.
Le haut-parleur diffuse en boucle le discours d'Hitler de 1937
à propos de l'art dégénéré (Entartete Kunst).
Il est lu par Georg Herold et Ulli Kukulies en dialecte saxon.
Entre la peinture du Greco et la sculpture de Georg Herold, sans doute faut-il aussi signaler la révolution artistique introduite par Marcel Duchamp qui avec ses objets trouvés déplace le canon esthétique de l'oeuvre vers le regard de l'artiste, et, plus avant, dans le regard de tout spectateur qui voit de la beauté là où il décide d'en voir.
Le Laocoon aspirateur de Georg Herold va au-delà de l'objet trouvé. Herold trouve l'objet mais en l'inscrivant dans une histoire ou plutôt dans des histoires: l'histoire de la littérature (Homère et Virgile), l'histoire de l'art (les sculpteurs rhodiens et Le Greco), l'histoire de l'art du XXème siècle (Duchamp, l'abstraction, l'art entartré, etc.), l'histoire au sens propre (le Troisième reich) et sa propre histoire (sa tentative d'évasion de la DDR, le dialecte et l'accent saxons saxon).
Ceci n'est pas un aspirateur. Ainsi cet aspirateur posé sur des poutrelles n'est-il pas un aspirateur, il est aussi un aspirateur qui nous provoque pour nous entraîner avec une ironie souriante dans un monde de références. Les visiteurs de l'exposition se rendront vite compte que Georg Herold maîtrise parfaitement l'art de la provocation. Il provoque d'abord par les matériaux qu'il choisit: des matériaux généralement dédaignés, coulages de béton, vieilles lattes de bois, poutrelles, un aspirateur, du béton, ou, au contraire, mythifiés et extravagants, comme les oeufs d'esturgeon, le caviar. Il provoque par la représentation:, comme cette empreinte de pas dans un peu de béton coulé en forme de bouse de vache. La provocation dérange et bouscule le spectateur qui peut prendre le parti de s'en aller (dans ce cas d'ailleurs pourquoi y venir?) ou de se laisser déstabiliser, de rentrer en dialogue avec l'oeuvre et son cortège de références, et de se mettre à réfléchir.
Georg Herold, souriant et délicieusement ironique
Dans ce deuxième cas, on est délicieusement entraîné dans le monde souriant de l'ironie héroldienne. Un monde rempli de références et de symboles où se posent les questions de l'art et de la fonction de l'oeuvre d'art, où se posent les questions de l'argent et du pouvoir et de leurs manipulations des oeuvres, de leurs dominations des artistes, et de la nécessaire rébellion. Alors on se déplace dans une exposition provocante et amicale à la fois et on est pris dans un monde de correspondances, où, comme de longs échos qui de loin se confondent, dans une ténébreuse et profonde unité, les [formes], les couleurs et les sons se répondent. On sort de l'exposition de Georg Herold gentiment déstabilisés, avec l'impression d'une profonde complicité, pris dans les transports de l'esprit et des sens.** texte en italique emprunté à Correspondances, de Baudelaire dans les Fleurs du Mal
L'exposition est présentée jusqu'au 2 septembre au musée Brandhorst de Munich. Plus d'infos: cliquer ici.
Photos de l'exposition: Luclebelge