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Century XXI

Publié le 20 avril 2012 par Zebrain

encrage-pulsar01.jpgAnthologie de Sylvie Denis

Encrage, 1995

En passant d'Asimov présente à Century XXI, on quitte les USA pour les îles britanniques, cet univers parallèle dont les habitudes gastronomiques demeurent un mystère et qui sut engendrer le seul dictateur dickien en real life : Margaret Thatcher. Sous-titré La nouvelle fiction spéculative britannique, ce volume est compilé par Sylvie Denis et traduit par la même et Francis Valéry (bon, traîne pas trop pour le chèque, Francis). Il parait chez Encrage, la maison amiénoise déjà mythique à laquelle nous devons tant d'opuscules de qualité (fond et forme), tels que le superbe volume consacré à Dick par Hélène Collon. En fait, Century XXI constitue le premier titre d'une nouvelle collection, « Pulsar », animée par un nouvel avatar de Francis Valéry.

Sylvie Denis connaît bien la Grande-Bretagne, elle y a découvert le fandom en 1984 / 85. Et elle y a aussi découvert Interzone, la revue que tout le monde présente comme le creuset du renouveau de la SF britannique. Le présent recueil n'est autre qu'une manière d'écrémage des sommaires d'Interzone, les « meilleures histoires » de la revue de David Pringle, en somme. S'il n'y avait les anthos de Duvic et des initiatives telles que Century XXI, sans parler du volume que vous tenez précieusement en mains, on se demande comment le lecteur francophone, pauvre chou, serait au courant de ce qui parait dans le domaine de la nouvelle anglo-saxonne. Je me répète, mais la situation est lamentable dites, les autres éditeurs, vous attendez quoi, exactement ?

Comme toute production Encrage, ce livre est d'abord beau. On peut considérer que c'est inutile, mais personnellement j'aime le rapport charnel avec les bouquins. Je caresse de temps en temps la toile de mes CLA. Bref, le travail d'édition est remarquable, et offre un écrin digne du travail de sélection et de présentation qui s'y trouve mis en valeur. Voilà une anthologie comme on les aime : nantie d'une introduction (même si celle-ci est un peu brève à mon goût) et comportant références des textes et notices sur les auteurs. Du travail soigné. Century XXI contient neuf textes et forme un ensemble particulièrement équilibré, sa composition est de toute évidence très travaillée.

Ouvrir le recueil avec Le retour du docteur Shade de Kim Newman est symbolique. D'une part cette belle nouvelle parle du pouvoir de l'imaginaire et des médias, d'autre part elle constitue tout à la fois une référence au passé (les vieux comics), une peinture d'un avenir sombre, et un univers parallèle encore plus thatchérien que le vrai, s'il est possible. Qu'on y trouve également des allusions à l'équipe d'Interzone et la relation d'une convention donne le ton : la Grande-Bretagne d'où nous viennent tous ces textes est aussi, quelque part, un pays de SF, d'une SF plutôt dystopique... Tous les textes ne provoquent pas un tel choc, et le seul qui s'y hisse facilement est... le dernier du volume, Rêve d'Epsilon d'Eric Brown (auteur qu'on a lu naguère dans Univers). Quand on vous dit que c'est construit. Cette ultime nouvelle est une véritable réussite dans le genre labyrinthe psychologique et éthique, possible uniquement grâce à son postulat SF, ici les enregistrements de personnalité et ce qu'ils permettent à un père malade de la perte de sa femme, lorsque leur fille en est le portrait vivant.

Le reste de l'anthologie est loin d'être négligeable, mais il ne saurait figurer de choc à chaque page. Toxine, de Richard Calder, navigue dans le fantasme de la fascination et mériterait une lecture freudienne attentive : une histoire d'automates angoissante, qui m'a fait songer à un vieux texte de Georges Lange-laan. Amour-fou, de lan R. Mac Leod, est une tranche de vie qui touche aux tripes, peinture pathétique d'une déchéance ultime : pour vendre totalement son corps, jusqu'où la technique permettra-t-elle d'aller ? L'intérêt envers les technologies de pointe n'exempte pas de préoccupations sociales, loin de là.

lan Lee, avec II était une fois dans le parc, se montre digne de ce que les continentaux nomment l'humour anglais, mais son récit de compost très spécial ne me paraît pas des plus accrocheurs. Quant à Nicola Griffith, la seule femme du recueil, son Chant des grenouilles... est fort beau stylistiquement mais cette histoire d'épidémie semble avoir été faite... combien de fois exactement ? Greg Egan, que l'on apprend de plus en plus à apprécier, redresse fermement la barre dans un récit sur l'identité et la conscience qui va loin, loin y compris dans des paradoxes logiques comparables au rêve du papillon chinois (mais si, vous savez : l'homme qui s'éveille est-il un homme qui a rêvé d'être un papillon, ou un papillon rêvant qu'il est un homme qui s'éveille...). Cela s'appelle En apprenant à être moi, et toute la question est de déterminer la nature de ce moi, cristal neural qui grandit avec son hôte, ou cerveau d'origine ?

Brian Stableford, que l'on a connu auteur de séries d'aventures traduites jadis dans la collection « Galaxie-Bis » d'Opta, aurait entamé une seconde carrière grâce à Interzone. Je n'en suis pas vraiment convaincu à la lecture de Mortel immortel, mais le thème de cette histoire est tellement rebattu qu'il aurait fallu être très fort pour surprendre : pensez donc, un mortel parmi les immortels qui se demande si l'immortalité, finalement... On le comprend : la société du sixième millénaire a stabilisé ses membres à l'âge de plus ou moins neuf ans, sans aucune pulsion érotique. Paul J. McAuley, enfin, donne une belle histoire mélancolique avec L'histoire d'Ilya, Spider et Box, mélancolique comme toutes les histoires d'astroport et à nouveau un récit qui aborde l'identité, l'évolution de l'individu et le refus du changement. Il y a quelques constantes dans ce recueil, et Sylvie Denis les a bien mises en évidence dans son travail.

En définitive, le constat est mieux que satisfaisant : Century XXI possède ce relent de découverte qui était celui, naguère, des Fiction spéciaux lorsque nous découvrions des classiques insoupçonnés qui miroitaient lentement dans nos souvenirs de jeunes amateurs... Je ne trouve guère de plus beau compliment. Certes, il existe sans nul doute d'autres monceaux de textes qui eussent mérité la sélection, peut-être davantage que l'un ou l'autre texte présent. Le choix est une entreprise castratrice. Après une anthologie pareille, en tout cas, on ne va pas continuer à gémir et à peindre la SF sous les oripeaux d'une vieille femme agonisante !...


Dominique Warfa


Cyberdreams, n°5, 1996

 

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