Théâtre Rive Gauche6, rue de la Gaîté75014 ParisTel : 0 899 152 000Métro : Edgar QuinetUne pièce d’Eric-Emmanuel SchmittMise en scène par Anne BourgeoisAvec Francis Lalanne (en alternance avec Eric-Emmanuel Schmitt pour 9 dates)L’histoire : Paris, années 60. Momo, un garçon juif de 12 ans, devient l’ami du vieil épicier arabe de la rue Bleue pour échapper à sa famille sans amour. Mais les apparences sont trompeuses : Monsieur Ibrahim n’est pas arabe, la rue Bleue n’est pas bleue et la vie ordinaire peut-être pas si ordinaire…Mon avis : Il ne faudrait surtout pas oublier qu’avant de chanter, Francis Lalanne été plutôt attiré par la comédie. Il avait en effet suivi de cours d’art dramatique au conservatoire de Marseille d’où il sortira, à 16 ans, après avoir décroché tous les premiers prix. Il s’était même occupé de mise en scène au lycée. De fait Francis, hypersensible et extraverti, est un comédien-né. Si bien que lorsque sa carrière de chanteur a été mise sous l’éteignoir pour des problèmes contractuels, il est revenu à ses premières amours à partir de 1987. Culturellement, il se tourne essentiellement vers un répertoire classique en jouant Molière (Dom Juan), Shakespeare (Coriolan), Cervantès (Don Quichotte), Musset (Lorenzaccio)… Mais c’est avec une pièce contemporaine, L’Affrontement, dans laquelle il donne la réplique à Jean Piat, qu’il se fait vraiment remarquer, tant des critiques que du public. Ce qui lui vaudra deux nominations aux Molières 1996, dans les catégories « Révélation » et « Meilleur second rôle »…Son retour dans l’exercice à hauts risques du « seul en scène » dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, ne manquait donc pas d’intriguer et d’exciter la curiosité.C’est simple, il n’y a pas de round d’observation. A peine est-il entré en scène qu’on est happé. Revêtu d’une ample blouse grise, d’un pantalon de velours trop court et le crâne surmonté d’un bonnet, Francis Lalanne est Moïse/Momo. Il entreprend de nous raconter par le menu son existence en la faisant démarrer l’année de ses 13 ans. Ce qui s’est passé avant, nous ne l’apprendrons que vers la fin. C’est à l’âge de 13 ans que sa vie va basculer : il va commencer à se rebeller contre l’autorité aveugle et psychorigide de son père, qui l’élève seul ; moyennant finances, il va se faire déniaiser par une professionnelle ; et il va faire la rencontre d’un mystérieux épicier, Monsieur Ibrahim. Si Moïse est révolté, s’il se livre à quelques petits larcins, c’est parce qu’il est malheureux. Il souffre d’un terrible manque d’affection. Alors, il rejette tout en bloc.Avec une facilité et un réalisme déconcertants, Francis passe sans cesse de l’émotion à la dérision. Toujours en mouvements, il occupe la scène avec une belle tonicité. Une scène ingénieusement divisée en trois parties. Côté jardin, un fauteuil et un guéridon surmontés d’un lampadaire représentent le salon paternel. Côté cour, un paravent sur lequel pendent quelques vêtements féminins, symbolise la chambre où la péripatéticienne accueille son jeune client. ET au beau milieu, trône l’épicerie de Monsieur Ibrahim, matérialisée par trois caisses, dont une débordante de pommes, et un tabouret. Moïse va donc passer d’un lieu à l’autre en fonction des différentes situations qu’il vit.Evidemment, c’est à l’épicerie qu’il va passer le plus clair de son temps. Il est irrésistiblement attiré par ce Monsieur Ibrahim, personnage énigmatique, qui passe son temps à esquiver les questions et à jouer sur les qualificatifs… Francis se met alors à jouer les deux personnages. Pour cela, une astuce de mise toute simple mais très efficace, nous aide à savoir qui il interprète. Il lui suffit d’enlever son bonnet, et il devient Ibrahim. Les scènes de dialogue entre le commerçant et l’adolescent sont menées avec une virtuosité jubilatoire. Chez Francis Lalanne, tout est mobile, le visage, les mains. Il est tellement expressif que l’on perçoit sans peine les sentiments qui l’animent, les émotions qui le traversent ou les situations qui l’amusent. En bon latin, il est en permanence dans la commedia dell’arte. Tour à tour Arlequin, Brighella et Polichinelle, il nous emporte dans la fringale de vie et d’amour de Momo. Le profond silence d’un public attentif et captivé, est parfois traversé par un court éclat de rire provoqué par une réflexion chargée ou d’ironie ou de naïveté. La scène de l’achat de la voiture est un grand moment de drôlerie… Et la pièce se termine en une sorte de road movie initiatique qui va faire de Momo l’homme qu’il est au début de la représentation.La performance de Francis Lalanne est remarquable. Il tient la scène sans aucun temps mort pendant près de deux heures. Il est le parfait passeur d’une pièce pleine de tolérance, d’œcuménisme et d’humanité.Enfin, pour être complet, il faut saluer des jeux de lumière particulièrement efficients.