« Dans le trafic d’idées comme dans le trafic de drogue, on punit l’usager sans toucher au dealer »
Guy Bedos
Hier, comme la plupart du temps, je glandais, mollement avachi comme un mollusque devant la télévision (en réalité je méditais sur les avancées de l’astrophysique quant aux microévènements quantiques survenus pendant le temps de Planck qui pourraient nous enseigner la teneur de la matière noire exotique, mais pour le bien de cette chronique, faites comme si j’étais un gastéropode de canapé). Soudainement, je fus tiré de ma torpeur par le faciès patibulaire de notre Président en sursis. Il avait mis sa trombine des mauvais jours, celle de quand il faut décaniller fissa à Berlin pour sauver le monde avec Angela alors que la petite Giulia réclame sa becquée, celle de quand on va annoncer le plan de rigueur de la dernière chance, celle des sondages de mauvais augure, bref il faisait une gueule de François Fillon et on sentait qu’il causait d’un sujet qui ne supporte pas la gaudriole.
En temps ordinaire, et à plus forte raison en période électorale, la simple vue d’un mecton en costard-cravate cerné d’une forêt de micros et de drapeaux constitue une raison suffisante pour éteindre le poste et sortir de l’état végétatif. Mais ô surprise, avant que j’aie pu m’emparer de la télécommande, j’ai entendu le mot « drogue », et mon oreille, mes poils et tout ce qui peut se dresser sur mon anatomie se dressèrent du même élan. Ca y est, me disais-je, il va enfin avouer qu’il se rince la soupière au white spirit, le godelureau! Non encore mieux, il a intégré sa très probable défaite, et il veut partir en fanfare en organisant une rave-party géante au Cap Nègre, où la barbe fleurie et le popotin dans un pantalon pattes d’éléphanteau, eu égard à sa petite taille, il sèmera les buvards de LSD aux quatre vents pendant que Carlita se laissera pousser les cordes vocales pour nous entonner un petit Jefferson Airplane.
Mais que nenni, l’ultime espoir que j’avais de m’intéresser à cette campagne de piètre tenue, où l’on abordé tous les sujets de fond comme la viande halal, le permis de conduire, le jour de versement des pensions de retraite, la question de savoir si oui ou non le riche est intrinsèquement un salaud, en éludant totalement l’éducation, la santé publique, la dette et le nucléaire, cet infime moment où j’étais tout ouïe s’évanouit comme un photon dans un trou noir (encore l’astrophysique). En fait, Sarkozy commentait la proposition de François Rebsamen de faire passer la fumette du champ des délits à celui des contraventions. Et pendant que le VRP de Rolex couinait sur la deliquescence morale qui attend notre pays si on laisse accroire aux jeunes générations qu’on peut presque impunément se rouler un douze-feuilles pour à peine plus cher qu’un délit d’initié, on a encore esquivé un beau débat sur la politique des drogues. Même si la timide proposition de Rebsamen permettrait aux pandores et aux juges de travailler sur d’autres sujets comme, au hasard, l’affaire Karachi ou la tirelire électorale de mamie Zinzin.
Toutes les études, pas la plupart mais absolument toutes, démontrent que la prohibition des drogues, loin d’être la guerre du bien contre le mal qu’on nous propose, ne fait qu’empirer la situation. Tout d’abord, cette prohibition a permis la création d’un marché parallèle qui pèse plusieurs milliards de dollars, c’est pas compliqué il n’y a que les armes et les médicaments qui se vendent mieux, le tout sous l’autorité de différents cartels ayant plus ou moins pignon sur rue. Marché parallèle, mais marché quand même: comme chez les spéculateurs officiels, on a assisté à une vague de concentration en puissants agglomérats au détriment des producteurs de proximité, et en bout de chaîne, la politique de réduction des coûts entraîne une dégradation de la qualité des produits. On vous fait grâce des morts « collatéraux » comme dirait George Bush qui périssent plus souvent des balles de leur employeur que d’overdose. Outre le fait que toute cette manne serait (peut-être) en meilleure place dans des caisses publiques, les substances de plus en plus frelatées qui arrivent jusqu’au consommateur posent un grave problème de santé publique, non seulement du fait de leur nocivité, mais aussi à cause de l’aspect moral que revêt la croisade contre la drogue.
En effet, c’est bien cela qui faisait serrer ses petits poings et verser sa larmichette à Sarkozy, qui n’a eu de cesse de nous mettre en garde contre la décadence qui nous rongera inexorablement si on laisse le citoyen français se promener avec des tous petits yeux en ricanant comme une hyène et si un socialiste franchit le portail de l’Elysée. C’est plutôt mal venu venant d’un homme qui confesse vouloir faire une cure de pognon dans le privé en attendant de pouvoir se refaire des piquouzes de pouvoir en 2017. On considère ordinairement qu’un sportif qui se dope est un tricheur, qu’un salarié sous antidépresseurs est un loser, ou qu’un jeune sous MDMA est un jeune; et la mamie qui vend des barrettes pour arrondir sa retraite (qui ne tombe toujours que le 8!) se fera faire la morale par un juge qui s’empressera d’aller se bourrer la gueule une fois sorti du bureau tant la Justice manque de moyens pour bosser convenablement. Mais on peut aussi se droguer pour d’autres raisons, qu’elles soient artistiques, mystiques ou médicales. On peut mettre des coups de bélier dans les portes de la perception en citant les Doors et Aldous Huxley, alors que le mot est de William Blake, on peut tailler le bout de gras avec le dieu-corbeau des Indiens Anasazis, et si l’on en est pas encore au point d’homologuer des prothèses mammaires en chanvre du Pérou, on peut quand même soigner ou apaiser pas mal de bobos grâce aux vertus pharmaceutiques de la flore. Je fais court, mais je vous ferai un topo sur le chamane et la sorcière quand mon dealer sortira de prison.
Bref, Sarkozy l’ignore sans doute puisqu’il avoue être novice dans les mystères dionysiaques (la cuite au vin pour les hydrophiles), mais la drogue, c’est comme le vin, ça s’apprend. Une légalisation globale ne ferait pas disparaître les dealers et la toxicomanie, la drogue bio n’est pas encore sur le point d’arriver en supermarché, mais une légalisation globale des drogues associée à une politique éducative un peu plus subtile que « la drogue c’est mal, pas comme le nucléaire qui fait chanter les écureuil et danser les abeilles », permettrait en tout cas de réduire considérablement les risques liés à la consommation.
Et quoiqu’on se mette dans le cornet, ça filera toujours moins la gueule de bois que cinq ans de sarkozysme intégriste. Bientôt le nettoyage de printemps! Sarko dehors, et vive le flower power!