J’ai écrit cette petite légende dans le cadre d’un projet éducatif mené en 2002 avec 7 jeunes qui consistait à un séjour de 4 jours dans le Haut Doubs sur les traces des différents lieux où se déroulent cette légende ; en parallèle , nous avons tourné un petit film dont le scénario était simple : 7 jeunes en vacances avec leurs éducateurs sur …les traces d’une légende , voit s’acharner contre eux une terrible créature après que l’un d’entre eux ai réussi à faire 3 fois de suite 8 ricochets sur le lac de Remoray ; tous meurent les uns après les autres y compris l’un des 2 éducateurs (moi en l’occurence ) avant le dénouement final…Un des meilleurs souvenirs de ma carrière d’éducateur car les jeunes ont totalement adhéré au projet , bien au delà de nos espérances . Deux anecdotes parmi d’autres : l’un des scènes voyait une jeune disparaître subitement au bord du lac de Saint Point ;alors que l’on tourne la scène où l’on entend un cri suivi d’un Plouf dans l’eau et où l’on se rend compte de la disparition d’une des filles, l’un des jeunes s’est alors précipité dans l’eau jusqu’au genou. Nous étions début novembre , l’eau était glacée dans ce lac situé à 900m d’altitude…autre moment insolite : alors que nous étions ma collègue et moi acheté du pain un matin, nos jeunes nous ont préparé une scène macabre pour notre retour , tous allongé recouvert du faux-sang que nous avions acheté pour les besoins du tournage et disséminés aux quatre coins du gîte ! un grand moment de rigolade ! J’ai une grande pensée pour ces 7 jeunes qui ont connus des fortunes diverses, certaines dramatiques, d’autres plus réconfortantes.
Cette légende est en partie basée sur de vraies légendes locales,des lieux réels mais aussi sur des noms existant comme la famille Sancey, fromager bien connu de Métabief, ou Obertino, fonderie de cloches à Labergement Sainte Marie qui m’excusera je l’espère de lui donner un mauvais rôle.
Le petit lac de Remoray, niché dans son cadre verdoyant à près de 1000m d’altitude, au coeur du buccolique plateau du Haut Doubs, semble être un havre de paix que rien ne peut troubler.
Dans ce petit coin de France,où la température descend parfois jusqu’à moins 40 degrés ce qui lui vaut le surnom de Petite Sibérie française , tout le monde vous dira qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
La famille Sancey
Il était une fois, dans le petit village de Labergement, une famille très pauvre. Le père, « le sancey » comme on l’appelait, avait bien du mal à nourrir sa femme et ses 12 enfants , dont 2 nouveaux nés jumeaux, Pierre et Lison , Pierre étant un petit bébé fragile à qui on donnait peu de chance de passer sa première année.
Le Sancey faisait peine à voir quand le soir,après une dure journée de travail aux fonderies de cloches de village, il revenait épuisé, sans le sou, quémandant là un quignon de pain,là une pomme de terre…
La vie était difficile pour les ouvriers de l’Obertino, le vieux fondeur de cloches. C’était un homme terrible, qui payait chichement ses ouvriers, et dont les affaires allaient cahin-caha.
Le jour de la paye était un moment de joie : on faisait alors un grand repas et toute la grande famille Sancey pouvait manger à sa faim. Malheureusement , le maigre salaire ne suffisait pas nourrir la famille tout le mois et bien vite, c’est la famine qui revenait toujours et encore…
La sorcière du lac
Lac de Remoray
Une vieille histoire courait depuis longtemps : le lac du village , appelé Lac de Remoray,serait habité par une terrible sorcière. Personne ne l’avait jamais vu mais certains prétendaient avoir vu d’inquiétantes ombres planer au dessus des eaux limpides du lac près duquel peu de personnes s’aventurait.
On racontait alors que la sorcière était jadis une une belle et gentille fille du village voisin de Rochejean. Elle était tombée éperdument amoureuse d’un petit gars de Labergement, mais celui-ci fut tué par des bandits qui lui volèrent les poissons qu’il avait pêché dans le lac de Remoray dans lequel ils abandonnèrent son corps.
La jeune fille, ivre de douleur, implora le diable de punir le village de Labergement, convaincue qu’elle était que des villageois étaient coupable de l’odieux crime, toute baignée dans les rivalités de clochers qui existaient depuis toujours entre son village et Labergement.
Le diable lui proposa d’aller hanter à tout jamais les eaux du lac pour terroriser les habitants et les privés ainsi de leurs activités de pêche. Le visage défiguré par la haine, la jeune fille qui n’avait plus rien de la jolie demoiselle d’antan,accepta.
La solution du Sancey
Rentrant un soir encore plus affamé que d’habitude, le Sancey demanda conseil au plus vieil homme du village, le père Decreuse,qui lui révéla un secret : quiconque réussirait à effectuer 3 fois de suite 8 ricochets sur l’eau du lac bénéficierait d’une faveur de la sorcière . Mais « bien sûr » lui dit le vieux Decreuse, « c’est impossible, nul parmi ceux qui furent un jour dans la confidence n’y est jamais parvenu. »
Mais ce que le commun des mortels ne peut faire, un père le peut. Et il décida de tenter sa chance même si le vieux Decreuse l’avait averti : « la sorcière n’accèdera à tes désirs que si tu lui offres quelque chose en échange »
Le voeu du Sancey
Un soir donc,le Sancey se rend au bord du lac et lance une pierre : 1,2,3,4,5,6,7,8…le caillou rebondit 8 fois sur l’eau. Le Sancey recommence :1,2,3,4,5,6,7,8…la pierre rebondit à nouveau 8 fois sur l’eau. Il se saisit alors d’une troisième pierre qu’il prend bien soin de choisir la plus plate possible et la lance : 1,2,3,4,5,6,7,8 fois la pierre ricoche sur l’eau.
A ce moment là, l’eau se mit à bouilloner, une fumée intense s’éleva au dessus de l’eau et accompagné d’un grondement de tonnerre, la sorcière apparu, plus laide que jamais.
-Qui es-tu donc pour venir troubler mon sommeil vil paysan ?
-je suis le Sancey, je viens te demander ton aide
La sorcière éclata d’un sordide rire :
-Quel culot ! ne sais-tu donc pas que je hais les villageois comme toi! pourquoi t’aiderai-je ? et que voulais tu donc me demander ? »
-Je voulais vous demander la richesse…
La sorcière,d’abord perplexese mit à réfléchir. Depuis quelques temps, elle s’ennuyait ; les villageois ne venait plus sur les berges du lac et son passe-temps favori , qui consistait à les terroriser , n’occupait plus beaucoup son temps…
-Donne moi ton enfant le dernier né et j’exaucerai ton voeu.
Il fut convenu que le lendemain à la même heure le Sancey amènerait son enfant le plus jeune, le pauvre Pierre que le Sancey savait mourant, à la sorcière. Et c’est bien ce qu’il fit.
-Il est bien pâlot cet enfant dit la sorcière dans un affreux rictus. Rentre chez toi paysan, tu trouveras dans ton étable ce que tu m’as demandé !
Le Sancey rentra alors chez lui, le coeur gros pour Pierre mais aussi avec l’espoir de sauver ses 11 autres enfants de la famine.
La richesse des Sancey
En ouvrant la porte de son étable,le Sancey s’attendait à y trouver une montagne d’or. Quelle ne fut pas sa surprise de n’y trouver que 3 belles vaches à la robe pie rouge et à la tête toute blanche et un taurillon. Fou de colère, certain d’avoir été floué, le Sancey retourna au bord du lac , appela la sorcière mais en vain.
Plusieurs mois passèrent. Les vaches donnaient tant de lait que le Sancey mit au point un procédé pour le conserver pour les longs mois d’hiver ; ainsi naquit le Comté. Sa réputation était telle qu’on venait de tous les villages alentours pour lui en acheter. Les vaches donnèrent des veaux qui devinrent à leur tour les meilleures vaches laitières du pays ou de valeureux taurillons. Le Comté étant le fruit de la vache il appela son atelier « fruitière » .
Il devint vite un riche fermier et dès lors, sa famille ne manqua plus jamais de rien.
Le Comté, Lison et le seigneur de Joux
Le comté
La réputation du Comté du père Sancey arriva un jour aux oreilles du seigneur de Joux qui décida de se rendre à la fruitière. Lison, la plus jeune des enfants du Sancey et la plus jolie fille du Haut Doubs, le reçu.
Lorsque le seigneur la vit, il se mit immédiatement en tête de la prendre pour femme, non pas par amour car il était insensible à ces niaiseries, mais par orgueil. Avoir une belle femme flatte toujours l’égo d’un homme …
La pauvre Lison n’eut pas vraiment d’autres choix qu’accepter, d’autant plus que le vieux Sancey y vit une occasion de plus de prendre une éblouissante revanche sur le sort.
Ils se marièrent donc avec faste à la plus grande tristesse de Lison.
Ce qu’il advenait de Pierre
L’enfant sitôt pris des mains de son père,la sorcière le transforma en faucon et l’éleva dans un endroit sauvage où il était à l’abri des hommes : les gorges du Fourperet. Elle l’éleva dans la haine des hommes car la malédiction qui pesait sur lui ne cesserait que s’il éprouvait un jour de l’amour pour un humain.
Devenu adulte, celui qui jadis s’appelait Pierre, décida de voler de ses propres ailes et avec la bénédiction de la sorcière, qui ayant délaissé son lac le voyait à nouveau grouiller d’humains, il sinstalla sur une falaise rocheuse où plus tard fut construit le fort Mahler, face au château du seigneur de Joux.
La rencontre
Le château de Joux
En ces temps reculés, la principale occupation des seigneurs étaient de guerroyer les uns contre les autres. Le seigneur de Joux, homme sanguinaire s’il en est, partit un jour livrer bataille
à l’un de ses rivaux honnis pour des raisons si anciennes qu’eux mêmes ne s’en souvenaient plus…
Terriblement jaloux, il enferma sa belle épouse dans la plus haute tour du château.
La pauvre Lison pleura et pleura encore.
Pierre, en face, finit un jour par être intrigué par ses pleurs. Il s’envola jusqu’au château, de Joux, traversant l’étroit passage de la Cluse et miJoux et vint se poser sur le rebord de la fenêtre de la prison de la pauvre Lison.
L’affreuse sorcière du lac n’avait pas prévu que même dans les coeurs les plus arides se cachent toujours un peu d’humanité. Pierre fut touhé par cette triste beauté et une larme se mit à couler le long de son bec.
Et là, le faucon prit forme humaine.
Une drôle de surprise
Lison était au comble de l’effroi. Mais sa peur fit rapidement place à une surprise énorme: l’homme qui se trouvait devant elle lui ressemblait tant ! Il lui raconta ce qu’il savait de son histoire et Lison lui apprit ce qu’il n’en savait pas. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et pleurèrent longtemps : ils étaient frère et soeur.
Le retour du seigneur
Toujours est-il que Pierre et Lison se retrouvaient maintenant enfermés tous les deux dans les tours du château. Et c’est la nuit suivante , alors qu’ils dormainet blottis l’un près de l’autre, que le seigneur rentra de guerre.
Les voyant ainsi, le seigneur entra dans une rage folle , persuadé que sa douce épouse l’avait floué. Il était dans un tel état de furie qu’on l’entendit hurler jusqu’à Pontarlier.
La mort de Pierre
Le seigneur ordonna à ses sbires de s’emparer du pauvre Pierre.
-« Quant à toi, tu ne payes rien pour attendre » lança-t-il à sa femme qu’il n’avait même plus la lucidité d’écouter tant la colère peut vous rendre sourd mais malheureusement rarement muet…
Après avoir voulu l’exécuter dans la cour du château, il décida d’ajouter l’humiliation à la mort.
Il le traîna jusqu’au village de Saint Point , avec une poignée d’hommes ,en pleine nuit et là , ordonna qu’on réveille tous les habitants du village et qu’ils se regroupent sur la place du village. Les habitants terrorisés par cet homme qu’ils craignaient plus qu’ils ne respectaient, ne purent qu’obéir.
Hommes, femmes et enfants se retrouvèrent donc sur la place du village, dans un froid glacial pour assister sans broncher à la mort de Pierre, pendu par les pieds et noyé dans le grand puit du village.
La fuite de Lison
Alors que son frère finissait tragiquement une ve trop courte, Lison, aidée de sa fidèle femme de chambre informée de ce qui se tramait, réussissait à quitter le château et, cachée dans la forêt, attendit que le calme revienne dans le village de Saint Point.
Elle entra alors dans le village où le silence régnait à nouveauet y trouva avec effroi le corps de son frère laissé là, pendu à sa corde.
Elle le décrocha et l’amena jusqu’à la source la plus proche pour le laver. Au contact de l’eau le corps de Pierre se transforma en paillettes bleutées. Depuis, la source a conservé cette couleur .
La colère de la sorcière
Le lac Saint Point
La sorcière, éreintée d’une journée joyeuse passée à jouer de vilains tours aux villageois de Labergement, dormait profondément quand une douleur terrible la saisie au plus profond d’elle , au moment même où Lison trempait le corps de son frère dans la source.
Elle vit alors les images affreuses des dernières heures de son fils adoptif et prise d’une froide colère, foudroya le seigneur de Joux. Mais elle ne pouvait arrêter là sa vengeance : pleine de rancune contre les villageois qui n’osèrent pas se dresser contre le seigneur , elle fit déborder le grand puit du village avec une telle puissance qu’en quelques minutes les habitations se retrouvèrent sous les flots, leurs habitants noyés.
C’est ainsi qu’est né le Lac de Saint Point. On dit qu’encore aujourd’hui, pour qui sait voir et entendre, les ombres des villageois apparaissent au dessus des eaux et leurs lamentations ainsi que le tintement des cloches de l’église du village englouti se font entendre.
La sorcière apparaît à Lison
La source bleue
Alors que Lison pleurait son frère près de la source bleue, la sorcière lui apparut :
-Si tu veux que ton frère retrouve à la vie, il te faut aller au pont du diable près de Nans, et là, faire tomber quelques gouttes de ton sang au fond du ravin. Le diable t’apparaîtra . Vends lui ton âmeen l’échange de la vie de ton frère.
Lison prit donc la route. Pour échapper aux gardes du seigneur de Joux, parti à al recherche de Lison avant que leur maître ne soit foudroyé, elle marchait la nuit et dormait dans les profondes forêts de sapins le jour.
Après 5 nuits de marche, elle arriva au Pont du diable et suivit les recommandations de la sorcière. Le diable lui apparu et accepta son marché mais comme le diable aime les plaisanteries diaboliques il rendit à Pierre la vie sous la forme …d’un faucon.
Les légendes ne finissent pas toujours bien
La source du Lison
Lison, flouée, s’installa dans une petite grotte et pleura des jours entiers. Ces pleurs étaient si abondants qu’ils formèrent une rivière qui pris son prénom.
Pierre, lu, obéissant à sa condition de faucon, s’établit à quelques dizaines de mètres de sa soeur, sur une abrupte paroi rocheuse où il fonda une famille dans ce lieu aujourd’hui connu sous le nom de Rocher aux faucons. On peut le voir parfois dit-on,facilement reconnaissable à la corde qui pend à son cou.0
Lison mourut de chagrin et comme convenu, le diable pris son âme.
La sorcière continue de hanter le lac de Remoray et terrorise régulièrement les habitants et les touristes.
Les descendants de l’Obertino continuent à fabriquer des cloches dans le village de Labergement.
Quant à ceux du vieux Sancey, ils fabriquent toujours un excellent Comté mais dans un autre village, celui de Métabief.