Dans la série désenfumage de cette formidable entreprise de fabrique du consentement à laquelle nous pouvons assister aujourd’hui de manière de plus en plus évidente, j’ai trouvé deux pièces intéressantes qu’il convient d’ajouter au dossier.
Tout d’abord, un billet du Blog à Nico, que je ne connaissais pas, impossible à résumer tant il est long, et dense, mais qui permet de déciller ceux qui auraient encore des illusions sur la nature du pouvoir confié au futur président. Il y convoque Philippe Cohen, de Marianne, Attali, Barbier… et bien d ‘autres. Ruffin y interroge un certain Doisy, sensé représenter la parole des marchés. Il est vrai que lorsqu’on commence à conseiller 1200 entreprises, ça peut le faire. L’analyse qu’il livre est étrangement convergente de celle de nombreuses voix à gauche, et notamment de votre humble serviteur, qui n’ a pourtant rien d’un fieffé libéral… Le langage du pragmatisme ? J’ai entendu le même type d’analyse sortir en filigrane du reportage dont je vous ai déjà parlé, en Grèce, I love démocracy. Elle veut qu’en gros,les acteurs dominants utilisent nos gouvernants européens comme des marionnettes à la solde de leurs intérêts. Étant donné les forces en présence, j’ai tendance à penser que cela pourrait être vrai, si nous ne nous en mêlons pas, à gauche du PS, et plus largement tous les citoyens qui ne veulent plus de ce système élitiste perverti. La thèse développée dans le billet tourne autour d’une idée simple, souvent évoquée, celle du candidat face aux marchés. Dans l’hypothèse où Hollande était élu, il écrit : “l’ éventuelle élection ne les empêche pas de dormir… loin de là même“.C’est justement ce qui différencie les sympathisants de Hollande de ceux de Mélenchon : l’attitude face aux marchés, aux forces de l’argent, à la rigueur qu’on nous vante comme le seul produit rentable et possible, à droite comme dans une certaine gauche. Hors de l’austérité, point de salut. Mais à qui profite-t-elle ? Quelles sont ses plus-values ? Où va l’argent qu’on nous enlève ? Qui se sacrifie, du plus au moins ? Hollande, sur le sujet : ”après avoir pourfendu la finance, cet adversaire sans visage, (et s’être excusé à Londres une semaine plus tard), Hollande continue dans sa campagne à refuser ce chantage, et confirme régulièrement sa volonté de renégocier le pacte de rigueur [...] Je pense qu’il y a des électeurs socialistes qui pensent sincèrement que c’est possible… Qu’en pensent “les marchés” ? Qu’il va devoir mettre en place les réformes structurelles attendues par le système dominant, mais que cette fois on aura choisi l’acteur adéquat, celui qui va nous faire passer tout ça en douceur, avec finesse et doigté. Il nous fera tout simplement avaler la pilule avec davantage de pédagogie que le gros bourrin qui précède…
Le deuxième document, à présent. On connait les travaux de Pierre Carles, dans les milieux alternatifs. Il reprend un certain nombre d’événements depuis le moment DSK, au temps où il était encore un potentiel candidat chouchou des médias, d’une gauche sûre d’elle qui avait déjà gagné l’élection avant même qu’elle n’ait lieu… Le reportage met certains des acteurs médiatiques principaux devant leurs responsabilités, que la plupart nient, ça va de soi. Puis s’intéresse à la manière dont la candidature de Hollande s’est construite, avant puis après les primaires, le rôle collectif des médias dominants dans cette fabrique du consentement d’un candidat acceptable auquel la plupart participent. On y voit comment les principaux médiacrates propagent éhontément une certaine doxa libérale sans guère de contre-voix… Et comment ils assènent leur mépris, forts de leur toute puissance, non pas seulement à ceux qui sont à gauche de l’échiquier, mais à tous ceux qu’ils considèrent comme des politiques mineurs à leurs yeux. Ainsi, nous avions oublié cette scène mémorable entre Demorand et Mélenchon à l’époque où le Front de Gauche était prévu à 3%… et où Demorand se permet de le mépriser en utilisant l’argument si faux selon lequel il n’avait jamais été élu au suffrage universel.. Méprisable journalisme qui n’est plus un métier, où l’on se documente avant d’interroger, où l’on n’interroge d’ailleurs plus vraiment, en attendant sur une position d ‘ouverture une réponse, mais où l’on va chercher chez les autres la confirmation de son préjugé, forcément juste. Et l’on s’étonne ensuite qu’un Mélenchon ou un Dupont-Aignan puissent les prendre à parti, s’énerver, les renvoyer dans leurs cordes ? Le mépris de la personnalité de chacun, la force du préjugé qui assène sa seule vérité possible est également une violence. Qui s’en émeut ?
On peut dire après avoir lu l’un et visionné l’autre, que le candidat qui sera élu sera celui qui aura la faveur des marchés et sera plus présentable et poli que le précédent, tout en donnant l’illusion d’une véritable alternance. De façade ? Au fond, ne sont-ce pas les marchés qui vont dicter leur loi, si personne ne s’y oppose ? J’en connais un seul qui essaie vraiment. On peut apprécier l’efficacité de son combat à la peur qu’il instille et aux tombereaux de merde qui ont été déversés sur lui cette semaine, ce qui me semble un bon indicateur.
J’espère en tous les cas que cette période qui a permis entre autre d’ouvrir les yeux de bien des consciences sur la plus grande entreprise de propagande médiatique de tous les temps débouchera, surtout dans l’hypothèse probable d’un gouvernement dit de gauche, sur une véritable transformation du paysage médiatique français, permettant davantage de pluralité des opinions, et pour reprendre le souhait de Ruffin qui est aussi le mien, sur la naissance d’une télé de gauche… un peu plus critique et compétente que ce à quoi il nous est donné d’assister : une vitrine médiatique devenue simple sous-traitante du capitalisme triomphant.