Il y a des disques dont l’auditeur tombe fou immédiatement. Le plaisir qui en résulte fait suite à une certaine évidence, comme s’il s’agissait du carreau manquant à une mosaïque sublime. Cette découverte se placera directement dans le champ de la musique préalablement appréciée, sans en modifier les contours, lui donnant pourtant une nouvelle teinte, un nouvel éclat, une nouvelle texture. D’autres albums, par contre, s’approchent différemment. La démarche est plus lente : la simple écoute du ou des premiers titres ne suffit pas à comprendre les divers aspects du disque, et procure moins de plaisir. C’est donc à la faveur du hasard, qui va apporter un temps mort au bon moment, que l’auditeur va se plonger dans une de ces œuvres avec plus d’attention. Là, deux choses peuvent arriver. Soit la considération qu’il accorde à cette production n’évolue pas, et il la jette ; soit elle crée chez lui un genre d’obsession, de fascination qui, cette fois, va remodeler la portée de son intérêt musical en profondeur, offrant de larges perspectives de recherche et des connexions nouvelles entre les artistes déjà connus.
Blithe Field nous livre un album de ce genre là. Il faut faire tourner Warm Blood en entier, en prenant attention à chaque mouvement, pour en ressentir toute la force et la cohésion. Petit à petit, ce qui n’était qu’un alignement de samples entre arpèges de guitare et noises spaciaux s’offre à l’entendement. On croise alors quelques sonorités qui vont éveiller l’émotion, qui va elle-même se référer à une expérience vue ou vécue, pour finalement proposer une lecture viable des morceaux. Les dix titres pourraient d’abord faire écho, chez les moins de trente ans, aux personnages de la série anglaise Skins dans leurs errances nocturnes et solitaires : les ressentis vont plonger vers un Bristol fantasmé et Warm Blood va s’imposer comme une bande-son alternative des pérégrinations des adolescents brisés d’E4. Le contenu musical est sacrément brillant : s’échiner à essayer de qualifier cet album de post-dubstep, de nu-trip-hop ambiant ou même d’électro-folk-à-tendance-bien serait une sacrée erreur. On peut y trouver quelques références du côté du premier Metronomy, ou vers le travail spatial du Far Nearer de Jamie XX, mais on s’arrêtera là tant l’album est à prendre dans son unité.
D’autre part, Warm Blood pourra toucher par son puissant syndrome de Peter Pan. Quand on sait que l’artiste n’a pas la vingtaine, les voix d’enfants ou le sifflet de Quincey font écho à une enfance dont on soupçonnera l’auteur d’être nostalgique. Il y a quelque chose de candide dans sa façon de construire ses morceaux, déposant ses mélodies comme autant de supports à des comptines dont la fraîcheur a été fossilisée par le monde adulte. La confrontation entre l’alphabet chanté de Perry St. 2 et l’utilisation du sampler, instrument qui ne fait pas vraiment partie de l’imaginaire des gamins, est une évocation pratique du contraste en forme de déchirure qui habite cet album.
Passant l’Atlantique grâce aux passeurs du naissant label franco-canadien Poulpe Mort, c’est sans aucun doute l’une des découvertes majeures du début d’année. Espérons-lui une explosion qui rappellerait celle des XX quand ils plaçaient leur tendresse triste en pleine apogée du disco-punk.
Vidéo
Tracklist
Blithe Field – Warm Blood (Poulpe Mort, 2012)
1. Clasped Hands
2. In The Moonlight
3. Perry St. 1
4. Mom Likes The 80′s
5. Quincey
6. Perry St. 2
7. Live In Chicago
8. Perry St. 3
9. Andrew’s Lake
10. Fremont And Mound