Twixt de Coppola, nanar ou chef d'oeuvre ?

Par Plugingeneration @Plug_Generation

Débat houleux entre deux pluggers 

 


Par Sergent Pepper
L’âge d’un cinéaste est-elle une variable pertinente pour appréhender son cinéma ? C’est la question que je me suis constamment posée à la vision du dernier film de Francis Ford Coppola, qui va en l’occurrence sur ses 78 ans bien tassés. En effet, alors que des films portent clairement la trace de l’enthousiasme d’une jeunesse en action (pensons à La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli ou par exemple aux Amours imaginaires de Xavier Dolan pour des sorties récentes, ou évidemment à toute la Nouvelle Vague), d’autres sont plutôt marqués, tant au niveau des thèmes que de l’esthétique adoptée, par le fait que leurs metteurs en scène soient des « Anciens». Tous les derniers Scorsese ou Eastwood me semblent ainsi relever de cette veine. A contrario, vous pourriez légitimement m’objecter que des hommes plus que murs comme Alain Resnais (quatre-vingt-neuf ans au compteur) ou Woody Allen (soixante-seize ans) font des films de jeune homme, d’une liberté folle-surtout pour le premier d’ailleurs.
Coppola semble ainsi être obsédé par deux questions. Tout d’abord, il ne veut pas faire des films de vieux. Et bam. Mais, et peut-être surtout, il est visiblement préoccupé par une question qui tient plus à sa propre carrière de cinéaste, et même de grand cinéaste. Dans Twixt, tout est fait pour que jamais on ne puisse penser que ce qu’on a sous les yeux est l’oeuvre du grand Francis Ford Coppola, pape du « Nouvel Hollywood » dans les années 70, cinéaste doublement palmé pour Apocalypse Now et Conversation secrète et oscarisé pour les deux premiers volets du Parrain. Coppola ne souhaite pas qu’on compare ses nouveaux films avec ses grandes années, et c’est pourquoi, depuis son retour aux affaires en 2007 avec L’Homme sans âge, il fait des films étranges, ne ressemblant pas à grand chose d’autre. Ca marche parfois, son précédent film, Tetro, était ainsi fort beau. Parfois, par contre, ça ne marche pas.
Et là, en l’occurrence, appeler le film de Coppola un échec serait un sacré euphémisme. Le pitch se résume bien : un écrivain (Val Kilmer), une sorte de « Stephen King au rabais » comme il nous est dit dans le film, arrive dans une petite bourgade provinciale bien glauque pour une séance de dédicace, et se retrouvé entrainé par le shérif local dans la résolution d’un meurtre assez épouvantable. Au cours de ses rêves, il rencontrera une jeune fantôme… et Edgard Allan Poe. Et ouais, costaud. Il faut bien préciser que tous les enjeux scénaristiques sont fixés au bout de quinze minutes : le jeune spectre (jouée par la formidable Elle Fanning que l’on avait déjà vu dans Somewhere et Super 8, la future meilleure actrice du monde, souvenez-vous de cette prédiction que je puisse triompher dans quinze ans) est une projection de la fille décédée de l’écrivain et c’est évidemment Poe, maître et mentor de tous les écrivains fantastiques, qui aura la clef de la solution. Résolution de l’enquête, création littéraire et exorcisation de vieux traumatismes familiaux sont entremêlés. Tout ça est véritablement très peu intéressant et totalement abracadabrantesque.
Le film est aussi mal écrit qu’une série Z diffusée sur Nanarland. On est quand même assez triste pour Coppola  à la vision de cette chose totalement informe et moche, mais alors, moche. Je crois bien que c’est le film le plus laid que j’ai vu depuis longtemps. Les scènes nocturnes sont éclairées de façon ridicule par une lumière qui enveloppe le tout d’une ambiance gothique digne du train fantôme de Walt Disney. Grosse frayeur au rendez-vous. Les partis pris de mise en scène sont indigents : les personnages sont  très souvent filmés de haut, ce qui donne l’impression désagréable de voir un film se déroulant au royaume des nains, et le réalisateur, qui plus est, pour filmer une conversation sur Skype ou au téléphone, ne trouve pas de meilleur procédé que de couper l’écran en deux et de mettre les deux protagonistes dans ces deux cases. C’est triste à dire, mais je crois bien qu’il n’y a rien à sauver du film, mis à part Elle Fanning.Mais le pire est atteint avec l’une des dernières scènes du film qui met littéralement en scène la culpabilité de l’écrivain dans l’accident de bateau qui a coûté la vie à sa fille.  Une des scènes les plus affreuses que j’ai jamais vues au cinéma, où le visage de la fille se découpe sur l’eau d’une crevasse très dark. Val Kilmer finit évidemment par sauter, ce qu’il n’avait pas pu faire à l’époque de l’accident, puisque, méchant alcoolique qu’il était, il était en train de décuver au moment de la sortie en bateau de sa fille. Subtil. Quand même, en sortant du film, on est perplexe, on essaie de comprendre ce ratage, on lit des choses. Et l’on apprend alors sur Coppola un détail biographique que l’on ignorait: son fils ainé, Gian-Carlo, a été tué dans un accident de hors-bord en 1986. Tout le film n’est donc au fond qu’un regard tourné vers ce passé et l’expression de la culpabilité qui ronge le metteur en scène. L’obsession du passé, ne serait-ce pas justement le signe distinctif d’un cinéma de vieux con ? Désolé, Francis.