Ce que je dis est confirmé par le corps entier de l’histoire, et est très conforme à la nature des choses. Car il est clair que, dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même, et qu’il en portera le poids.
Il est clair encore que le monarque qui, par mauvais conseil ou par négligence, cesse de faire exécuter les lois, peut aisément réparer le mal ; il n’a qu’à changer de conseil, ou se corriger de cette négligence même. Mais lorsque, dans un gouvernement populaire, les lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la république, l’Etat est déjà perdu. (…) Les politiques grecs, qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d’autre force qui pût le soutenir, que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses, et de luxe même.
Lorsque cette vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, et l’avarice entre dans tous. Les désirs changent d’objet : ce qu’on aimait, on ne l’aime plus. On était libre avec les lois, on veut être libres contre elles. Chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître. (…) Autrefois le bien des particuliers faisait le trésor public ; mais, pour lors, le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La république est une dépouille ; et sa force n’a plus que le pouvoir de quelques citoyens, et la licence de tous.
Montesquieu (I, chapitre III Du principe de la Démocratie)
Salut et Fraternité !