Le cas Burberry: complexes d’infériorité, extrêmisme kémite & autres plaisirs.

Publié le 20 avril 2012 par Maybachcarter

Le cas Burberry: complexes d’infériorité, extrêmisme kémite & autres plaisirs.

20 avril 2012 · by MayBach Carter Ewing · in les Blablatages, Maybach mode et co

Chaque secteur de la presse a ses marronniers. Dans la presse politique, c’est la franc-maçonnerie ou les numéros “spécial Immobilier/Classement d’hôpitaux”. Dans la presse féminine, c’est généralement les régimes miracle ou les guides de séduction certifiés 100% efficaces. Dans la presse Mode généraliste, c’est assez souvent les numéros “Petits prix” ou “Mode pour toutes les morphologies”.

Pour ce qui est de la presse Mode Africaine par contre, il y en a UN qui devient de plus en plus récurrent, au point de commencer à m’agacer: les grandes marques occidentales qui pillent le savoir-faire et l’esthétique africains. J’ai bien dit “pillent”, et non “pilleraient”. Parce que je crois effectivement qu’il y a bien eu des cas de pillage… auxquels les africains eux-mêmes ont participé, et continuent de le faire d’ailleurs.

Je ne vous apprends rien, la tendance des “imprimés africains”, souvent présentés dans la plupart des magazines sous les titres ô combien originaux “L’Afrique c’est Chic”, “La Tendance Boubou”, “Safari Chic” (ou comme j’ai pu le voir y a encore 2 jours), “Boubou pour African Queen”, ça fait des années que cela dure. Nous en sommes à un stade où le tissu Wax est devenu un incontournable des saisons Printemps-Eté, au même titre que les manteaux sans cesse restructurés (Oversize ou minimaliste selon les années) pendant les saisons Automne-Hiver. Et à chaque fois, c’est la même chanson: l’honneur à l’Afrique, les designers inspirés par un safari au Kenya, ou (pour les plus subtils) une envie de travailler les imprimés de manière “exotique” (vous noterez mes guillemets).
Seulement, depuis 2 ou 3 ans, les choses bougent. Les designers africains, censés maîtriser le fameux tissu pagne plus que quiconque, commencent à immerger internationalement parlant. Et avec la structuration (lente, mais profonde et réelle) de l’industrie de la mode africaine, l’Ankara ou le Wax hollandais ne sont plus cantonnés qu’aux saisons chaudes et deviennent des tissus qui ont droit de cité toute l’année.
Par effet de ricochet donc, lorsqu’une marque de luxe européenne/américaine se sert de ces imprimés, le regard n’est plus le même. Il ne s’agit plus simplement d’être “content” que les grands de la mode mettent l’Afrique sur le devant de la scène, on a désormais passé ce stade. Nous sommes maintenant en position de juger la qualité du tissu employé, les coupes, les couleurs et le rapport qualité/prix, parce que des marques africaines se positionnent en étalons de comparaison. Malheureusement bien sûr, il est très compliqué de se comparer à des maisons de couture qui ont plusieurs dizaines d’années d’existence, dont les noms sont synonymes d’establishment à l’échelle mondiale et surtout…qui disposent de millions d’euros de budget (notamment, en communication). Dernier exemple en date: la collection Printemps/Eté 2012 de la marque Burberry.

Toute personne qui regarde ces vêtements/accessoires a automatiquement (selon moi) un champ lexical très précis en tête: Afrique, voyage, alliance entre tradition & modernité. Or, il se trouve que lors d’une conférence autour de la mode africaine (qui a eu lieu la semaine dernière à la prestigieuse université de Columbia à New York), une journaliste du magazine Arise a déclaré que l’Afrique n’avait en aucun cas été une inspiration pour Burberry. Non, il ne s’agit pas de bruits de couloir puisque le magazine a obtenu cette déclaration après un coup de fil passé chez la marque. Et oui, on parle bien de la collection dont j’ai posté les images un peu plus haut. Stupéfaction générale (et compréhensible). Mais ce n’est pas tout. Lors de notre rencontre à Paris il y a deux semaines, la créatrice de la marque Jewel By Lisa nous a affirmé que plusieurs mois avant que cette dite collection ne soit révélée, des personnes de chez Burberry sont venues visiter sa boutique à Lagos (Nigeria), ainsi que celles d’autres designers locaux. L. & moi avons été littéralement sciées en apprenant cela, mais bien sûr, nous avons décidé de ne pas en parler publiquement. Mais Lisa F. l’a elle-même dit sur son compte Twitter quelques jours plus tard, et cette information n’a pas tardé à soulever une véritable polémique. D’abord taxée de malhonnête, la marque britannique a fini par être accusée de copier Jewel By Lisa, à cause d’une très grande ressemblance dans les imprimés choisis (cliquez ICI).

Stylistes, attachées de presse, propriétaires d’E-stores afro ou journalistes, j’ai vu toute une partie de la Fashionsphère nigériane (et plus globalement des pays africains anglophones) débattre (parfois de manière très véhémente) sur l’éthique de Burberry. Les uns accusaient la marque de vol, lorsque d’autres déclaraient (en substance) que Burberry était une maison bien trop célèbre pour faire cela ou en être ébranlée. Justement d’ailleurs, qu’en dit la marque en question ? Absolument rien. Sûrement trop occupée (et à raison) à célébrer le fait d’avoir franchi le seuil symbolique du milliard de dollars de profits.

Toute cette affaire m’a rappelée la fois où nous avions posté la photo de ce Kaba (tenue traditionnelle camerounaise) à 1000 euros, vendu par une marque australienne. Comme vous pouvez le lire, la majorité des commentaires faisait état du vol du tissu africain par ces méchants blancs qui n’ont pas fini d’exploiter notre sous-sol, de créer des guerres…. euh pardon, je m’égare. Donc, je disais, la majorité des commentaires étaient très incisifs à l’égard d’Easton Pearson (la dite marque). Et c’est là que je trouve que tous ces commentaires passionés sont franchement hypocrites.

Toujours sur cette même page Facebook, je ne compte pas le nombre de fois où j’ai pu lire des gens qui trouvaient qu’en somme, un designer africain ne devrait pas vendre des vêtements en bazin ou Kente au-delà d’une certaine somme. Et pourquoi ? Hé bien parce que (au choix): “Je peux faire coudre ça au bled pour moins cher”, “Ma tante est couturière”, “C’est trop cher pour ce que c’est”. Attention, je ne suis pas en train de dire que TOUS les designers d’Afrique sont talentueux, l’on a tout à fait le droit de ne pas apprécier le travail de certains. Mais de grâce, qu’on le fasse sur les mêmes critères que l’on emploie pour juger les créateurs occidentaux. A longueur de journée, je lis des gens qui dénigrent le pagne, considèrent que c’est un tissu qui n’est pas noble ou qui ne peut être anobli. Or, le savoir-faire manuel, la rigueur des coupes, la cohérence d’une collection, la beauté d’une campagne…toutes ces choses que l’on met en avant quand on a une marque de luxe, on les retrouve AUSSI chez des marques africaines (Lanre Da Silva Ajayi, Deola Sagoe..). Alors pourquoi leur demander de DEVALUER leurs prix parce que ” ah c’est du tissu Wax”, et “parce qu’on est en Afrique”… pour après aller s’émouvoir et crier au scandale quand des marques occidentales reprennent les mêmes imprimés ?

Vous reprendrez bien un cocktail Sado-Schizo ?

Ces cas se sont tellement répétés que j’ai fini par me dire que la Mode est un symptôme de quelque chose de plus profond: les plaies de la colonisation, de l’esclavage, de l’apartheid sont encore tellement ouvertes dans l’inconscient collectif, qu’à la MOINDRE occasion, certains africains ne se gênent pas pour faire le procès des méchants blancs qui n’ont (toujours) pas fini d’exploiter notre sous-sol, de créer des guerres…. euh pardon, je m’égare encore. Mais de l’autre côté, dès qu’il y a quelques africains qui ont des initiatives qui s’alignent sur des standards de qualité européens, HOP, on dénigre, on trouve que ça se prend pour un(e) bounty, et d’ailleurs ça se prend pour qui… Je peux comprendre qu’une personne qui n’ait pas de moyens se dise qu’elle préfère acheter du tissu pour reproduire un modèle… Mais j’en connais BEAUCOUP aussi, qui économisent pour s’acheter des accessoires Gucci ou Vuitton, mais considèrent qu’ils ne pourraient jamais faire pareil pour une marque de luxe africaine (qui coûte pourtant moins chère si on convertit les sommes). Il y a encore beaucoup de travail psychologique à faire, notamment sur ce complexe vis-à-vis du “blanc”, chose qui est plus flagrante dans la Mode qu’on ne le croit, je m’en rends compte tous les jours depuis que je travaille chez Fashizblack.

Un exemple qui m’a d’ailleurs choquée, c’est de voir la manière avec laquelle certain(e)s n’ont pas hésité à mettre leur fierté/orgueil de côté pour supplier publiquement Franca Sozzani (rédac’chef du Vogue Italie) lorsqu’ils ont appris qu’elle se rendait en Afrique (à la base, en tant qu’ambassadrice de l’UNESCO). Quelques jeunes stylistes n’ont pas hésité à montrer tous leurs croquis, alors que Franca était accompagnée d’un couturier (Roberto Cavalli, pour ne pas le citer), ce qui est pour moi une faute à ne pas faire ! Je ne parle même pas du nombre de choses aberrantes que j’ai pu lire dès qu’il a été annoncé que le Vogue Homme italien allait faire un numéro spécial Afrique (prévu pour le mois prochain). Cette annonce a bien évidemment relancé le sujet d’un Vogue Africa, et la pseudo-machine s’est emballée (encore une fois). J’ai vu des gens que je respectais presqu’implorer aux yeux de tous que Mme Sozzani fasse quelque chose pour que les pauvres petits africains puissent avoir leur Vogue eux aussi. Et presqu’ ironiquement, quelques jours après ça, on apprend que Vogue lance une édition…thaïlandaise. Bien évidemment, je ne me suis pas gênée de faire remarquer que l’Asie, l’Europe, les Etats-Unis et l’Amérique du Sud ont des Vogue PAR PAYS et non continentaux, et que réclamer un Vogue Africa n’avait pas de sens (l’Afrique est un pays: le retour !). Je remarque également que l’Afrique est le SEUL continent à RECLAMER un Vogue, quand les autres pays du monde n’ont pas eu spécialement à le faire pour obtenir leurs éditions nationales. Il me semble que dans les locaux de la société éditrice de Vogue, on a des cartes du monde comme tout le monde, et sauf erreur, il y a le continent africain dessus. S’ils ne veulent pas pour l’instant s’y installer, il n’y a pas à aller les supplier comme si nous étions absolument en attente d’un cachet de validation de leur part. A-t-on eu besoin de supplier pour que Cosmopolitan ou ELLE lancent une version en Afrique du sud ? Bref, c’était une petite parenthèse, je n’en ai que trop parlé , revenons-en à nos moutons.

Toutes ces batailles autour du tissu Wax ont eu le mérite de soulever de vraies questions: peut-on dire que ce tissu est africain (quand on sait qu’il est majoritairement fabriqué par les Hollandais ou les Chinois, et qu’historiquement il est indonésien) ? Quand bien même il serait africain, est-ce forcément mauvais que d’autres l’utilisent et se l’approprient ? Ce qui me sert d’excellente transition pour vous raconter une (autre) anecdote.

Plus tôt cette semaine, je reçois le message Facebook d’une personne au pseudo inspiré d’une ancienne reine d’Egypte. Le sujet de son message était son interrogation vis-à-vis d’une interview des soeurs Sutherland (fondatrices de la marque Republic of Foreigner), dans le premier numéro de Fashizblack. En effet, dans cet entretien de 3 pages, on leur avait demandé leur avis concernant les marques européennes qui “pilleraient” les tissus africains. Ce à quoi elles ont répondu en disant qu’elles ne voyaient pas de problèmes à ce que ces tissus soient repris par d’autres (c’était bien plus argumenté que cela, mais je ne peux reprendre l’interview ici). Selon la personne qui m’a donc envoyé le dit message, nous (membres de la rédaction) aurions dû retirer ce passage car étant un magazine Afro, nous n’avons pas à diffuser ce genre d’opinions. Vous voyez, nous sommes dans un cas de complexe inversé cette fois. Sans vouloir faire de procès d’intention, j’ai très rapidement décelé dans les explications de cette personne, la rhétorique des groupes kémites ou semi-néo-Black Panther, pour qui les blancs sont tous méchants et les noirs, des victimes perpétuelles qui n’ont fait que subir toute leur Histoire.

Je n’étais pas totalement d’accord avec les soeurs Sutherland, mais leur propos était argumenté, et dans un certain sens, cohérent. Pourquoi devais-je ordonner une CENSURE (puisqu’il s’agit de ça) parce qu’elles avaient osé supposer que Vuitton peut se permettre de vendre une jupe en raphia à 4000 euros ? En tant que magazine (dans MA conception), nous ne sommes pas là pour formater un discours pour qu’il aille dans un sens précis et caresse le poil de X ou Y en permanence, parce qu’au mieux le contenu va cruellement manquer de relief, au pire, ça s’appelle de la PROPAGANDE. Peut-être que fash.iz.BLACK à quelques égards sonne comme quelque chose de TRES militant pro-noir, mais j’ai vraiment été choquée qu’on ose me demander POURQUOI le comité rédactionnel a jugé bon de laisser paraître de tels propos, comme s’ils avaient été insultants ou dégradants. Cette personne a justifié son point de vue en disant qu’elle soutenait la communauté en achetant ce qui était fabriqué/conçu/vendu par des entrepreneurs noirs, je l’en félicite ! Mais de là à sous-entendre que F. Mag était un magazine de collabos (en gros) parce qu’on a laissé s’exprimer des gens (avec qui on n’était pas nécessairement d’accord sur tout, je le répète), il y a vraiment un pas. Et c’est ça qui m’a toujours franchement agacé avec une bonne partie de ces kémites: une tendance à croire que rejeter TOUT de l’Occident est la meilleure manière de reconquérir la fierté nègre. Pour ma part, je trouve ça aussi stupide que le racisme ou les clichés véhiculés par les extrémistes du Vieux Continent (qui finissent par fabriquer des individus comme Anders Breivik, persuadés du péril de la “race européenne” sous la lame du multikulti).

Enfin bon.

 A ma petite échelle, je milite à ma façon pour une culture africaine mondialisée, une culture Afropolitaine si vous voulez. En quoi ça consiste ? Ca consiste à (globalement) se servir des traditions africaines, mais avec des standards à l’échelle globale: il y a l’exemple des fast foods camerounais ou sud africains, calqués sur les modèles du Mc Donald’s ou du KFC, mais avec des plats locaux. Il y a celui du film Viva Riva (vu hier), un thriller respectant les codes du genre, mais adapté et filmé dans un Kinshasa plutôt réaliste. Il y a celui de la musique nigériane, mixant sonorités purement Hip Hop américain et patois/pidjin. Et bien sûr, la mode, qui consiste à proposer des robes de cocktails, des noeuds-pap’ ou des sacs à main tendance..fabriqués sur place, avec du tissu local. La banalisation et l’universalisation des différentes cultures africaines par les africains eux-mêmes. Il n’est pas question d’oublier d’où l’on vient, ni de complètement rejeter le reste du monde pour mieux se retrouver. Il s’agit plus de faire cohabiter les deux. Nous sommes nombreux à déjà vivre comme ça, entre deux terres ou deux cultures, mais visiblement il reste encore pas mal de chemin à faire pour que cela se fasse sans complexes d’infériorité/supériorité (inversé ou non). Pour ce qui est de Burberry, Dior, Vuitton, et tous les autres, je ne peux pas (dans le fond) leur en vouloir de commercialiser cette esthétique africaine. Je vois plutôt ça comme un défi pour la nouvelle génération de designers africains. A eux de se battre encore plus pour exister, à eux de remettre en cause la légitimité qu’a l’Occident de servir des codes vestimentaires africains (s’ils considèrent que cela est nécessaire). Plus globalement, arrêtons de pleurer sur notre sort. Ces marques ont rendu le wax “cool”, et c’est peut-être blessant à quelques égards qu’il ait fallu cette collection Burberry pour que certain(e)s regardent ce tissu  différemment, mais quelle est la suite ? On attend que le monde s’en détourne à nouveau ? A vous de voir.