Une des grandes plaies de notre siècle est l’iatrogénèse médicamenteuse, à savoir les effets néfastes provoqués par la médecine (iatros signifie médecin en grec). On nous bassine assez avec la résistance aux antibiotiques induite par la surconsommation des médicaments. En effet, à force de prescrire des antibiotiques à tout-va, les microbes développent des stratégies de résistance aux médicaments. Face à cette antiobiorésistance, un comportement écocitoyen en vaut la chandelle : plutôt que de consulter pour une rhino-pharyngite, se soigner au roquefort ! De toute manière, il sera toujours temps d’aller voir le docteur si cela se complique…
Comment ça : le roquefort est un médicament ?
Non seulement le roquefort – ou plutôt ce qu’il renferme – est un antibiotique, mais c’est même l’un des plus puissants connus, si ce n’est le plus puissant. En fait, vous l’aurez remarqué, le roquefort – outre son bon lait de brebis – contient des moisissures. Loin d’être dégoûtantes comme on l’entend parfois, ces moisissures sont guérisseuses. L’une d’elle s’appelle Penicilium roqueforti : inoffensive pour l’Homme, ce champignon microscopique contenant de la pénicilline aide à lutter contre les infections bactériennes.
Vue microscopique du champignon saprophyte Penicillium roqueforti, riche en pénicilline.
Un des médicaments les plus prescrits lors des infections hivernales est l’Augmentin, qui n’est rien d’autre qu’un concentré d’amoxicilline. Or l’amoxicilline est une pénicilline ! Vous ne rêvez pas : il existe plusieurs pénicillines, mais l’amoxicilline et la ticarcilline sont les plus courantes.
Le roquefort est donc une alternative efficace aux antibiotiques les plus courants. On pourrait s’arrêter là, mais afin de ne pas mourir bête, tentons de comprendre pourquoi la pénicilline est si efficace contre les bactéries.
Qu’est-ce qui fait la supériorité de l’Augmentin ?
Malgré tout, pour ne rien vous cacher, l’Augmentin reste théoriquement plus efficace que le roquefort en raison de l’acide clavulanique qu’il contient en plus de la pénicilline. Il faut savoir que certaines bactéries se défendent contre la pénicilline à l’aide d’enzymes appelées bêta-lactamases. L’acide clavulanique, extrait de la bactérie Streptomyces clavuligerus, bloque cette enzyme, rétablissant ainsi l’efficacité de la pénicilline. Néanmoins, toutes les bactéries n’étant pas dotées de béta-lactamases, la pénicilline est souvent efficace administrée seule.
Comment ça marche la pénicilline ?
Mais au juste, comment fonctionne un antibiotique ? Nul besoin de connaissances particulières en biologie pour comprendre !
Une bactérie est une cellule : elle contient donc de l’ADN et une membrane, ainsi qu’une membrane renforçante appelée paroi. Pour les détruire, trois solutions s’offrent donc à nous :
- détruire l’ADN
- détruire la membrane plasmique
- détruire la paroi
La pénicilline est un antibiotique de la classe des béta-lactamines : elle s’oppose à la transpeptidation, étape primordiale de la biosynthèse de la paroi bactérienne. En effet, la paroi comporte des peptidoglycanes : si l’on empêche leur fabrication, la bactérie se meurt. Une autre classe d’antibiotiques, les glycopeptides, ont un effet similaire (pour la petite histoire, les glycopeptides sont inefficaces contre les bactéries gram-négatives car elles possèdent une membrane externe qui isole la paroi de l’extérieur, alors que les béta-lactamines n’ont pas de restriction d’efficacité !)
Mais on peut aussi perforer la paroi, à coup d’antibiotiques appelés polymixines. Ceci a pour effet d’ouvrir le cocon protecteur des bactéries, lesquelles meurent noyées.
On peut également détruire l’ADN, ou empêcher sa fabrication, grâce aux sulfamides et à la triméthoprime.
Il existe même deux autres modes d’action des antibiotiques :
- premièrement, empêcher la transcription d’ADN en ARN ; car il faut savoir que le code génétique – l’ADN – n’est pas directement utilisable pas les êtres vivants : les bactéries doivent le convertir en ARN. Si l’on empêche cette conversion, au moyen de rifamycines, alors les bactéries se trouvent piégées : elles ont de l’ADN, mais ne peuvent plus s’en servir pour fabriquer leur protéines.
- deuxièmement, on peut empêcher la traduction de l’ARN en protéines, au moyen d’antibiotiques appelés macrolides et aminosides (pour les plus téméraires, ceux-ci bloquent les sous-unités 50S et 30S des ribosomes). Privées de protéines, les bactéries meurent rapidement…
Attention cependant : la pénicilline n’est d’aucun secours contre les virus et champignons (“les antibiotiques, c’est pas automatique”). En cas d’infection virale ou fongique, seuls les médicaments s’avèrent efficaces ! Et dans tous les cas, en cas de syndromes persistants, rien ne vaut l’avis d’un médecin, car souvent, dans les infections résistantes, on prescrit plusieurs antibiotiques aux effets différents (l’union fait la force).
Malgré tout, sachez que la pénicilline n’est pas efficace contre toutes les bactéries, mais surtout contres celles dites gram-positives. Il existe un arsenal thérapeutique pour lutter contre les gram-négatives (polymixynes, sulfamides, etc.)
Petite parenthèse historique
On aurait pu commencer par là, mais il faut garder le meilleur pour la fin ! Depuis la plus haute Antiquité, l’utilisation des moisissures pour traiter des infections est connue. On savait, dans l’ancienne Chine, faire régresser des panaris à l’aide de peaux de fruits moisies. En Serbie, en Grèce, au Sri Lanka, les moisissures du pain s’utilisent depuis des temps immémoriaux. Pourtant, ce n’est qu’en 1928 que le célèbre Alexander Flemming découvre la pénicilline, et ce, par hasard ! Ses travaux sur les staphylocoques eurent sans doute été loin d’aboutir, si un champignon n’avait pas contaminé ses boites de pétri. Ce champignon provenait des cultures de son voisin de paillasse, un mycologue irlandais travaillant sur les allergies. Si ce genre de contamination n’est pas rare au début du siècle, Flemming eut le réflexe d’étudier tout-de-même ses boites au lieu de s’en débarrasser (en sciences on appelle cela un témoin) : c’est alors qu’il découvrit que les staphylocoques ne se développaient pas autour des champignons ! Il émit l’hypothèse que le champignon Penicillium notatum produisait un puissant antibiotique. Et il vit juste… Cette découverte lui valut le Prix Nobel. La pénicilline fut d’ailleurs le premier antibiotique identifié, peu avant les sulfamides, mis au point à partir de colorants. Elle fut longtemps, avec les sulfamides, la seule arme pour lutter contre les bactéries.
Morale de cette histoire : ne pas se priver de roquefort, et pas seulement quand on est malade ! Le roquefort est un alicament, contraction d’aliment et médicament. Pour peu qu’un germe soit en incubation, rien de tel q’une part de fromage en hiver pour se prémunir d’une grosse grippe !
Bien entendu, le roquefort n’est pas la panacée : ses cousins bleu d’Auvergne, fourme d’Ambert, Saint-Agur ou gorgonzola font aussi l’affaire. Plus généralement, tous les fromages à pâte persillée contiennent de la pénicilline.
Le roquefort fut, en 1925, le premier fromage à bénéficier d'une appellation d'origine. Aujourd'hui il comporte les labels d'origine certifiée (AOC) et protégée (AOP).
Vous savez désormais (presque) tout sur les antibiotiques ! Espérons que le roquefort soit votre allié redoutable dans la lutte contre les infections bactériennes… D’autant plus qu’il peut se prendre en complément d’un traitement médicamenteux (personne n’a encore jamais fait d’intoxication au roquefort !) Pour autant, sans s’attarder sur les vertus antibiotiques prodigieuses de l’huile de pépin de pamplemousse, gardons ce proverbe anglais en mémoire : “une pomme par jour éloigne le médecin” ! De même, une part de roquefort ne se refuse pas…
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