La période est propice aux appels, manifestes et tribunes (souvent très convenus) sur « la » culture.
La Cité des sens poursuit sans relâche son exploration des points de vue divergents, latéraux, sortant des sentiers battus, intempestifs autant qu'inactuels.
Rue de Valois, les services préparent les « dossiers ministre »… pour le (la) prochain(e). C’est comme ça à chaque fois. La continuité de l’Etat, c’est un principe.
En attendant, de nouveau, quelques réflexions qui, confrontées à d’autres dans un débat décoincé, pourraient, du moins ose-t-on l’espérer, autoriser le pas de côté dont les politiques culturelles ont bien besoin.
Sous le souffle déstabilisant de l’absence avérée de moyens de l’Etat et des tensions financières que commencent à connaître les collectivités territoriales, un doute de plus en plus pernicieux se glisse quant à la nécessité de l’engagement public en faveur de la culture et des arts. Alors on cherche de l’argent ailleurs, de l’argent privé, en guise de solution.
Mais, depuis toujours, la responsabilité du politique est d’affirmer des priorités et d’effectuer des choix. On ne procède pas à de telles décisions sans critère, donc sans sens, c’est-à-dire sans savoir pourquoi telle ligne budgétaire est prioritaire par rapport à telle autre. Pourquoi, malgré la crise, faut-il, selon la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), maintenir l’engagement public pour la culture ?
Un artiste le dirait autrement. Un citoyen sans doute aussi. Les élus le disent autrement : notre pays est sa culture. Elle en développe l’imaginaire, en trace les espoirs, en dénonce les errances. Elle est dans l’harmonie des villes, dans les mots par lesquels nous échangeons notre volonté d’agir ensemble. La culture entretisse nos attentes les plus personnelles et nos rêves les plus collectifs. Elle nourrit et accueille les différences, les confrontations, les identités multiples pour construire le dialogue de la diversité et le lien de la solidarité. Elle ouvre notre pays à l’Europe et au monde. Elle accueille l’Europe et le monde dans notre pays. La culture est richesse, emploi, innovation, développement territorial, attractivité. Elle est aussi écoute, émancipation, intelligence et reconnaissance de l’autre, liberté. Une création paupérisée, une culture négligée, mènerait vers une société fragile, passive, craintive. Soumise à la seule aune de l’argent, elle conduirait à une civilisation en voir d’étiolement démocratique.
Loin de devoir se plier à l’astreinte d’une nécessaire recherche de financements extrabudgétaires détachée de toute volonté politique, la crise, au contraire, fait apparaître combien l’enjeu de société majeur qui innerve le lien de notre société avec la culture ressortit bien d’une responsabilité politique fondamentale, première et non négligeable.
Sans nier l’intérêt de promouvoir des croisements solidaires entre ressources privées et publiques, élaborés dans le sens de l’intérêt général, sans nier non plus la pertinence de diversifier les sources des financements en faveur de la culture, la FNCC rappelle ici la raison de sa vigilance.
Dans le cadre de notre histoire nationale particulière, du Conseil national de la Résistance à l’effort récent en faveur des musiques actuelles ou pour la numérisation du patrimoine écrit ou cinématographique, en passant par Jean Vilar, Malraux, la loi sur le prix unique du livre ou la création du label « art et essai » pour la diffusion cinématographique, il faut impérativement continuer d’affirmer la nécessité incontournable de la haute responsabilité – en terme de civilisation - de l’implication des pouvoirs publics pour les arts et la culture.
Telle est la condition d’une République dont le sens est d’assurer l’exercice de la volonté libre de comprendre et d’agir au lieu de subir, dans la confusion d’un imaginaire bloqué.
Ca se trouve sur le site de Philippe Laurent, actuel président de la FNCC et il me plait de le reproduire ici
En écho, je fais place à l’analyse du Comité national de liaison des EPCC qui conforte et prolonge ce diagnostic, sous le titre Pas de politiques culturelles sans coopérations!
(…)
Les politiques publiques en faveur de la culture constituent aujourd’hui un édifice pluriel particulièrement fragile dont l’avenir est plus que jamais lié à l’urgence d’une réflexion politique, y compris à l’échelon européen. Nous n’échapperons sûrement pas à la nécessité de dresser un inventaire critique et prospectif. Il nous faut éviter de plaquer une même règle sur l’ensemble des segments culturels existants et en devenir. Il s’agit peut-être de nous doter d’un nouveau référentiel repérant les multiples dimensions du secteur.
Cette responsabilité incombe aux acteurs publics, collectivités territoriales et État, comme des établissements publics dédiés au côté des professionnels et des citoyens. Quel que soit le mode d’organisation retenu dans quelques mois par les législateurs, nous pensons que les processus de coopération sont seuls aptes à structurer une action pérenne, à mener des expérimentations, à innover dans les interventions et à ajuster en permanence les projets en fonction de choix stratégiques.
Nous vivons tous dans des temps différents qui obligent à doter les organisations de nouvelles ingénieries. La coopération peut permettre le développement de projets publics répondant à la diversité des enjeux économiques, sociaux, culturels, éducatifs. De nouveaux « mandats » sont à confier par la puissance publique à des équipements capables d’assurer une fonction de redistribution, de solidarité et de développement au plan local et régional, national et européen, international.
En confortant cette dimension collective, cela doit concrétiser tout à la fois une exigence collective au plan artistique ou scientifique, une exigence à considérer les citoyens comme contributeur de biens culturels communs et une exigence de gestion de l’argent public. C’est une question de choix et de définition des priorités ! Si la France a ratifié la Déclaration Universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, une politique d’investissement sur et par l’humain est nécessaire, au côté d’investissements plus économiques.
(…)
J’ai signalé le manifeste (et le site) Devoir de culture (Jean Caune, Isabelle Mathieu, Claude Patriat) sur lequel on trouve désormais ce commentaire dont j’aime bien le « regard oblique » :
Surmontant tant bien que mal en tant qu’« amateurs » les difficultés de compréhension que peut poser un texte professionnel, nous tenterons ci-après d’apporter un petit éclairage (un regard oblique de béotien) à cette réflexion dont nous approuvons l’essentiel.
Le texte traduit bien la fonction de l’art, expression privilégiée de la culture, elle-même synthèse de l’identité et du projet collectifs. Cette réflexion nous semble s’appliquer sans équivoque aux temps plus ou moins anciens où l’art, pariétal ou religieux, était partie intégrante de l’espace collectif, exprimait l’appartenance à un univers commun qui s’imposait matériellement et culturellement à l’individu. L’artiste cherchait alors à construire, pour lui-même et sa communauté (tribale, religieuse, étatique) une représentation du monde en fait de son environnement sensible et pensé) et de ses croyances. Cette représentation émanait en quelque sorte de la conscience collective, que l’artiste contribuait volontairement à enrichir et à transmettre. Il ne craignait pas de se répéter, ou d’imiter, tout en apportant des variations plus ou moins discrètes, acceptables par tous, mais qui, de glissements en glissements, accompagnaient et traduisaient, voire inspiraient les mutations de la société.
Mais l’art n’a-t-il pas changé progressivement de finalités et de nature depuis un siècle environ ? Avec de nouveaux moyens technologiques (photo, cinéma, ordinateur…), dans le contexte du dépérissement des idéologies collectives et de la fragmentation des sociétés, de l’autonomisation d’un l’individu par ailleurs enserré dans la pression des modes sécrétées par le marché (les fameuses « lois du marché »), l’art lui-même s’est autonomisé. L’artiste a perdu, spontanément tout d’abord, puis par une sorte d’ivresse de pouvoir, ses racines sociales, environnementales, idéologiques. La notion de création artistique a paradoxalement envahi un monde affranchi du divin. L’artiste, se faisant – ou se croyant – créateur, affranchi des contingences humaines, se voulant libéré de tout héritage – autrement dit de toute dette –, s’emploie à exprimer son œuvre personnelle, unique (même si le béotien croit y déceler l’influence de modes inavouées).
Comment s’étonner dès lors du divorce actuel entre l’art et la société dans son ensemble ? Divorce consommé de plus par l’avènement de l’art marchandise, objet de spéculations impudiques, au bénéfice de l’ego d’une coterie de parasites aspirant sans limite les plus -values des travailleurs sans pouvoir.
Ce divorce est de fait acté par les responsables politiques qui, multipliant les musées d’art moderne comme ils le font pour les ronds-points, négligent le plus souvent d’enrichir d’œuvres artistiques l’espace urbain, dans lequel même l’architecture s’avère, malgré des ressources technologiques illimitées et des coûts de construction prohibitifs, d’une pauvreté conceptuelle déroutante. Ne craignent-ils pas, ces élus, de ne pas être compris par leurs électeurs s’ils posent dans ces espaces un objet artistique totalement étranger au substrat culturel de la population... et d’ailleurs aussi au leur ?
Ceci étant dit (d’une manière sans doute trop fruste et caricaturale), il n’en reste pas moins que la culture imprègne, sous des formes de plus en plus diversifiées, l’ensemble de notre vie, que ce soit dans le domaine patrimonial ou dans le monde vivant. Mais il faut être conscient du fait que ce « nous » exclut une part majoritaire de la population, celle qui n’a pu recevoir de l’école ni culture ni métiers, et qui est assignée à des quartiers où un fonctionnalisme parcimonieux et partiel tient lieu d’environnement. Mais ne nous aventurons pas dans ces considérations, qui débordent tellement de la question posée qu’il semble préférable pour le moment de se restreindre à la question posée.
Donc, après ce détour par les critiques formulées plus haut, l’article « Devoir de culture » nous semble apporter les bonnes solutions. Bien qu’adhérant pleinement à cette conception, nous nous devons d’alerter sur le fait qu’elle ne peut s’appliquer à tous - au-delà des 20 à 40% de privilégiés de la culture dont nous faisons partie - sans une remise en question fondamentale des finalités du politique, et en particulier sans une refondation du monde économique et du milieu péri-urbain dans lesquels se débattent « les autres » (il est peut-être difficile de dire « les exclus de la culture »). En effet, école et éducation populaire prêcheront dans le désert tant que toute la population ne bénéficiera pas d’un environnement favorable à l’épanouissement de chacun, c’est-à-dire tant que les « habitats » (au sens écologique du terme) ne seront pas urbanisés, humanisés, imprégnés de vie culturelle. Le tropisme politique en direction de la création n’a-t-il pas fait perdre plusieurs décennies en stérilisant à la fois l’école (avec le fameux « élitisme républicain » porteur aujourd’hui d’inégalités croissantes) et l’éducation populaire trop souvent confiée aux échoués de cet élitisme ?
Qui osera s’attaquer vraiment à cet immense enjeu ?
Commentaire n°9 posté par Arlette et Marcel Masson le 24/03/2012 à 11h17
C’est sur Devoir de culture.
Dans un registre plus classique, rappelons les entretiens conduits par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez et publiés dans le numéro 39 de la revue de l'Observatoire des politiques culturelles
Élections présidentielles. État, collectivités territoriales, Europe : les défis à venir pour les politiques culturelles
Marie-Christine Blandin, Annie Genevard, Catherine Morin-Desailly, Jean-Jack Queyranne, Florian Salazar-Martin
Encore un effort pour que les enjeux culturels prennent une place plus visible dans la campagne présidentielle ? En guise de contribution à cet effort, l’Observatoire a longuement rencontré cinq élus de diverses sensibilités, connus pour leur implication dans les affaires culturelles. Voici le résultat de leur dialogue et de leur confrontation sur l’avenir de la décentralisation, le rôle du ministère de la culture dans les prochaines années, les enseignements artistiques, la perspective d’une loi d’orientation pour la culture, la création artistique et l’économie numérique, l’après-Hadopi, la participation des citoyens à la vie culturelle, le mécénat, l’Europe, la culture dans un projet de société...
Le texte de ces entretiens peut être téléchargé (au format pdf) à cette adresse.