"Brune", de Nicole Avril : dans les pas de Flora Tristan

Par Lauravanelcoytte

LE MONDE DES LIVRES |22.03.2012 à 11h59 • Mis à jour le22.03.2012 à 12h00

Par Josyane Savigneau

Nicole Avril n'est jamais meilleure que quand elle revisite le destin d'une femme qui l'a fascinée. Elle aime les rebelles et celles dont la légende a brouillé l'image. Ainsi, dans L'Impératrice (Grasset, 1993), elle a arraché Elisabeth d'Autriche au mythe mièvre de "Sissi", pour montrer quelle femme indomptable elle était. Plus récemment, avec Moi, Dora Maar (Plon, 2002), elle a restitué son existence singulière, splendide puis tragique, à celle qu'on voit trop souvent seulement comme La Femme qui pleure peinte par Picasso en 1937.


Dans le Panthéon de Nicole Avril, il y avait aussi Flora Tristan (1803-1844), figure de proue du féminisme, révolutionnaire, dont le petit-fils, Paul Gauguin, disait qu'elle "était une drôle de bonne femme !".

Farouche, "brune", bien sûr, comme le souligne le titre de ce roman-biographie. Pour suivre les traces de Flora Tristan, Nicole Avril avait même fait un voyage au Pérou dès 1982. Depuis trente ans donc, elle avait ce désir d'écrire sur elle, de tenter de la retrouver, à sa manière. Avec le sentiment qu'elle n'était pas une figure du passé, mais quelqu'un pouvant permettre de penser l'avenir.

Toutefois, il lui fallait prendre son temps pour refaire avec elle le périple de sa vie brève et chaotique. Elle ne voulait sans doute pas être trop empathique, projeter en Flora Tristan ses propres révoltes de jeune femme, en un mot la trahir en un roman hâtif. Elle s'est d'abord attachée à lire et à relire les écrits de Flora Tristan, ainsi que les livres sur elle, dont les excellents travaux de Stéphane Michaud, comme en témoigne la bibliographie figurant à la fin de Brune. Et puis elle a attendu, pour mettre tout cela à distance et comprendre de l'intérieur, dans un livre longuement mûri et soigneusement composé, cette insoumise, errante, déçue par une famille péruvienne négligente, militante socialiste et féministe, l'une des premières à comprendre ce que signifiait la révolution industrielle.

Fille d'aristocrate, Flora Tristan a eu une petite enfance heureuse. Mais, dès l'âge de 4 ans, à la mort de son père, elle connaît la misère. D'abord en France, puis au Pérou, quand elle veut rejoindre sa famille paternelle, et aussi en Grande-Bretagne, elle découvre ce que signifie la condition féminine. La situation de femme mariée, maltraitée, ou d'ouvrière, "la prolétaire du prolétaire". En lisant certains textes de Flora Tristan, cités par Nicole Avril, on ne peut s'empêcher de penser à un slogan des années 1970, quand les féministes se battaient avec humour : "Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?"

Jusqu'à l'épuisement

Dès que Flora Tristan arrive au Pérou, le 18 août 1833 - elle avait embarqué le 7 avril, jour de ses 30 ans, à Bordeaux -, elle apprend que sa grand-mère péruvienne vient de mourir : "La vieille dame était la seule personne au monde qui aurait pu d'un mot, d'un sourire, d'un geste, la reconnaître (...) Elle aurait fait d'elle la fille de son fils sans contestation possible." Flora, à son retour, écrira Pérégrinations d'une paria (Babel), sans jamais se laisser gagner par le ressentiment, en gardant la volonté de comprendre et de penser ce qu'elle vit et ce qu'elle observe.

C'est parce qu'elle a suivi pas à pas Flora Tristan sur ce difficile chemin, jusqu'à sa mort, d'épuisement, à Bordeaux, le 14 novembre 1844, à l'âge de 41 ans, que Nicole Avril a pu écrire ce texte intime et faire sien ce propos : "Ce n'est donc pas sur moi, personnellement, que j'ai voulu attirer l'attention, mais sur toutes les femmes qui se trouvent dans la même position."

BRUNE de Nicole Avril. Plon, 274 p., 19,50 €.

Josyane Savigneau

http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/22/brune-de-...

Je précise que cette article n'est pas de moi (lien vers la page citée et si possible son auteur)mais que je suis auteure et que vous pouvez commander mes livres en cliquant sur les 11 bannières de ce blog