Les photos d'Arun Kapil montrent effectivement des gens ordinaires, employés sortant du bureau, étudiants propres sur eux… rien à voir avec des skinheads, les réunions d'extrême-droite avec salut nazi, croix gammée ou croix celtique. Il y a même quelques noirs et quelques spectateurs de type maghrébin (des observateurs comme Arun, Arthur ou Charlie, ce rappeur antillais qui me racontait il y a quelques jours avoir assisté à un meeting de Marine Le Pen?). Mais faut-il s'en étonner? Si Marine Le Pen séduit de 15 à 20% d'électeurs, il faut bien qu'elle convainque au delà des petits cercles d'extrémistes et qu'elle touche des "gens ordinaires", des gens qui ne braillent pas, ne sont pas forcément racistes mais trouvent dans ses propos, un écho à ce qu'ils pensent et qui revient, en somme, à attribuer aux étrangers, à ceux qui viennent d'ailleurs l'essentiel de nos difficultés.
Ce n'est pas la haine qui les anime, pas une passion religieuse, pas même la conviction d'être supérieurs aux autres, mais l'idée que tous les problèmes rencontrés, de l'insécurité au chômage seraient résolus si nous étions plus entre nous, si l'on gardait mieux les frontières et renvoyait chez eux les étrangers. Un thème dont le fondement est sans doute à chercher dans l'effondrement des grands récits politiques. Lorsqu'on interroge ces électeurs, comme l'a fait une nouvelle fois ce matin Libération (Au Zénith, le baptême des convertis), tous font appel à des expériences personnelles. Ce n'est pas Marine Le Pen qui les a convaincus, c'est eux-mêmes qui reconnaissent ce qu'ils pensent dans ce qu'elle dit : «J’ai vu des gens comme moi, dit l'un de ces militants que la journaliste a interrogés. Des étudiants ou des fils d’ouvriers, je me suis reconnu.» Elle les aide à donner sens à ce qu'ils vivent. Leurs raisonnements sont souvent simples. Ils ont la force des tautologies : «On dit qu’ils (les immigrés) nous enrichissent, explique une autre militante. Mais, c’est faux (…) Pas besoin de sortir de Saint-Cyr, pour savoir que si on fait venir des pauvres, la France sera encore plus pauvre. (…) Tout cela se fait sur le dos des «Français de souche». Ils ont une vision terriblement myope de la société : le voisin qui ne travaille pas mais a une voiture et part en vacances devient le symbole de l'injustice, la cause des difficultés rencontrées. Ce ne sont ni des idéologues ni des théoriciens, ce sont des penseurs du quotidien, qui raisonnent sur ce qu'il voient au bout de leur nez…