Écoutez donc, on en discute après.
Plus que de l'indignation (je réserve ce noble sentiment pour des sujets autrement plus graves que ces vétilles), ce que je ressens après avoir écouté ça, c'est de l'effarement. Un peu comme pour l'affiche de la journée portes ouvertes de l'ENIL, je ne peux m'empêcher de me demander comment des gens globalement sérieux, désireux de bien faire leur travail, qui ont fait des réunions, des séances de brainstorming, qui ont sans doute eu des tas d'idées intéressantes, ont pu en arriver à ça : une voix de cougar en chaleur usant du champ sémantique de la séduction et de formules à double fond, dans une resucée des antiques publicités pour 36.15 ULLA.
Tu veux des rencontres, vivre une aventure, goûter mes spécialités gourmandes ?
Alors viens chez moi…
Je suis le Jura.
Rejoins-moi sur jura-tourism.com
Je t’attends.
Au moins le minitel rose avait-il le mérite d'annoncer clairement la couleur. Là franchement, c'est aussi pitoyable que ces publicité idiotes où l'on voit une fille à moitié nue pour vendre une tronçonneuse : on cherche le rapport, mais c'est en vain, car il n'y en a pas.
Pire que l'agence qui a conçu ce spot -pour laquelle j'hésite encore entre la trop forte proportion d'obsédés sexuels ou le manque de femmes dans l'équipe- il y a les responsables qui l'ont validé. Des décideurs qui, après avoir mûrement réfléchi, ont choisi de dépenser l'argent qu'on leur a confié afin que l'image de leur département pour les années à venir ce soit ça. Une image du Jura usant de l'image de la femme objet de convoitise sexuel. Une image presque préhistorique, pour ne pas dire jurassique.
***
Je soumets donc, à titre de suggestion, un bonus à ces concepteurs et décideurs en panne d'inspiration ; ce qu'ils cherchaient à faire a déjà été fait, en mieux. Qu'ils cherchent donc d'autres pistes créatives. Diantre, ne sont-ils pas payés pour ça ?
Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.
J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux,
Deviner si son cœur couve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux,
Parcourir à loisir ses magnifiques formes,
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,
Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.
Charles Baudelaire, La Géante, in : Les fleurs du mal, 1857