Il n’y a plus le moindre doute, c’est EasyJet qu’il faut surveiller, ne plus quitter des yeux, qu’il convient de considérer comme la vraie valeur montante du transport aérien européen. A l’opposé de Ryanair, enfermée dans un modèle économique low cost pur et dur (mais qui lui réussit évidemment très bien), la compagnie orange s’inscrit en véritable challenger de ses concurrents «classiques». Non seulement parce qu’elle dessert les grands aéroports mais aussi en raison de sa décision de viser davantage la clientèle d’affaires.
Cette dernière constitue d’ores et déjà 18% de ses passagers et devrait passer à 24% dès 2015. Des efforts commerciaux importants sont déployés pour atteindre cet objectif, qui n’est sans doute pas hors de portée mais suppose une petite révolution culturelle. En effet, sans avoir mauvaise presse pour autant, les compagnies low cost sont résolument associées à des prix très bas, certes, mais aussi à un service minimal et à des contraintes que rejettent les voyageurs qui se déplacent pour raisons professionnelles. De plus, EasyJet est une compagnie point à point, sans plates-formes de correspondances et dépourvue de tout programme de fidélisation. Reste l’argument imparable, celui de grilles tarifaires souvent inférieures de 50% à celle des «legacy airlines».
Carolyn McCall, directeur général, et les forces vivent de ses services commerciaux commencent à déployer une argumentation basée sur la persuasion en même temps que la suppression d’idées reçues. On pourrait croire qu’EasyJet et ses disciples séduisent principalement une clientèle jeune, ce qui n’est pas exact : les 45-64 ans dominent et la demande augmente sensiblement pendant le week-end ou à l’occasion de jours fériés. De même, les statistiques présentées récemment aux investisseurs montrent une bonne représentation des retraités. Dans ces conditions, un infléchissement de la manière de faire ne devrait pas présenter de difficultés insurmontables.
Il n’est pas question pour autant qu’EasyJet rentre dans le rang. Tout au contraire, elle continue de déployer des efforts considérables pour contenir ses coûts, hors carburant, bien sûr, pour préserver soigneusement ses avantages en matière de tarifs. Ce qui ne devrait pas lui interdire de jouer habilement avec la recette unitaire moyenne, peut-être un premier pas vers une segmentation de clientèle, une topologie qui pourrait rappeler la manière de faire très réussie qui fut celle des tarifs bleus, blancs et rouges d’Air Inter.
A y regarder de plus près, EasyJet est sans doute en train de s’assagir en constatant que les taux de croissance à deux chiffres font peut-être partie du passé. Au cours des 12 derniers mois, la compagnie orange a transporté 55,7 millions de passagers, une croissance de 8,9%. Mais en mars, la croissance a atteint un petit 4,4%, étant entendu que les résultats financiers sont d’autant meilleurs qu’ils s’appuient sur une parfaire maîtrise du rapport entre l‘offre et la demande, avec un coefficient moyen d’occupation des sièges proche de 89%.
Carolyn McCall et sa garde rapproche estiment que d’importants gisements de croissance sont à leur portée. La remarque s’applique notamment à la France où le taux de pénétration des low cost est inférieur de moitié à la moyenne européenne. La clientèle dite d’affaires représente 21% du trafic français d’EasyJet, venant de 12% en 2006 et tout indique qu’elle va continuer de croître. Mais aucune velléité de fuite en avant ne peut être décelée, étant entendu que la compagnie cherche à préserver une rentabilité exemplaire (une marge bénéficiaire de 248 millions de livres, en 2011, pour un chiffre d’affaires de près de trois milliards et demi de livres).
Il en résulte une grande prudence dans la manière de faire évoluer le plan de flotte. Les livraisons d’avions commandés précédemment à Airbus se prolongeront jusqu’en 2014, ce qui implique de procéder bientôt à de nouveaux choix et l’évaluation, sans plus attendre, des A320 NEO, 737 MAX et C.Series. Tous trois annoncent une réduction de consommation de carburant se situant entre 15 et 20% et devraient permettre de contenir les coûts directs d’exploitation. Point remarquable, l’âge moyen des 200 et quelques avions exploités par EasyJet est à peine supérieur à 4 ans. Une commande importante est envisagée pour fin 2012, ce qui permettra un rajeunissement plutôt qu’une forte croissance de la flotte.
Carolyn McCall, aux commandes d’EasyJet depuis moins de 2 ans, a déjà prouvé que les médias mènent à tout à condition d’en sortir. Elle dirigeait précédemment le groupe de presse du Guardian et elle a pu vérifier que quelques points forts unissent journaux et compagnies aériennes. A commencer par le fait qu’ils vendent les uns et les autres des produits périssables : les journaux invendus vont au pilon dès le lendemain de leur impression, un siège d’avion inoccupé à l’heure du décollage est irrémédiablement perdu.
Pierre Sparaco - AeroMorning