La semaine précédant le premier tour d’une élection nationale donne parfois lieu à des mouvements de dernière heure des électeurs. Ce fut le cas lors de la présidentielle de 2002, avec la montée de Jean-Marie Le Pen coiffant Lionel Jospin sur le poteau. Ce fut aussi le cas lors des européennes de 2009 avec la progression d’Europe-Ecologie-Les Verts faisant finalement jeu égal avec le Parti socialiste. Chaque fois, les sondages des derniers jours ont indiqué la tendance. Ils n’ont pu en prédire le point d’aboutissement, les ultimes « terrains » étant effectués le jeudi avant le scrutin pour respecter la loi sur l’interdiction de la publication de résultats à partir du vendredi minuit.
A quelques jours du scrutin du 22 avril, le contexte particulier de la campagne pourrait laisser entrevoir, de nouveau, un scénario inattendu : un effet boomerang de la stratégie de Nicolas Sarkozy. La séduction de l’électorat du Front National, qui lui a permis de consolider son score de premier tour et de limiter, par voie de conséquence, celui de Marine Le Pen sera-t-elle finalement durable alors que tous les indicateurs indiquent une probable victoire de François Hollande ? Autrement dit, les électeurs frontistes sensibles à l’idée d’un vote utile seront-ils fidèles à leur intention déclarée alors que l’efficacité d’un bulletin en faveur du candidat sortant paraît de plus en plus hypothétique ?
Fléchissement de Sarkozy, reprise de Le Pen
Les dernières enquêtes électorales publiées peuvent donner matière à étayer ce scénario. Si l’on analyse les résultats publiés par les sept principaux instituts depuis le 12 avril (BVA, CSA, Harris Interactive, IFOP, IPSOS, LH2, TNS-Sofres), on constate que Nicolas Sarkozy est en baisse dans cinq cas et ne progresse que dans un cas tandis qu’à l’inverse, Marine Le Pen est en hausse dans cinq cas et ne baisse que dans deux. En moyenne, il y a donc une sorte de renversement, encore limité, qui pourrait cependant prendre de l’ampleur dans les sondages d’intentions de vote des tout derniers jours.
Il est notamment frappant de constater que, dans leurs pronostics de victoire, les sympathisants du Front National soient de moins en moins nombreux à citer Nicolas Sarkozy : 47 % le 4 avril, 38 % seulement le 18 avril, soit une chute de près de dix points en deux semaines selon l’institut CSA. La même tendance s’observe dans l’étude quotidienne livrée par l’IFOP : les sympathisants frontistes n’étaient que 26 % à pronostiquer la victoire du Président sortant, le 17 avril, contre 33 % deux semaines plus tôt.
Le boomerang d’une campagne marquée très à droite
Le choix stratégique de Nicolas Sarkozy de conduire une campagne centrée sur l’opposition entre le peuple, dont il incarnerait les valeurs et les aspirations, et les élites s’est notamment traduit par des propositions parfois très en phase avec certains éléments de programme du Front National. Malgré un registre empruntant parfois au souverainisme de droite ou de gauche, en matière de préférence nationale ou même de fiscalité, le projet du candidat sortant apparaît construit comme une forme de réplique de celui de 2007, l’objectif déclaré étant de siphonner les voix frontistes au premier tour pour mieux engager la dynamique de deuxième tour.
Cette manœuvre qui a si bien réussi il y a cinq ans pourrait se retourner, cette fois, contre son auteur. A partir du moment où les jeux semblent faits, la cristallisation des intentions de vote pour le deuxième tour laissant peu de place au doute, l’intérêt d’un électorat protestataire, particulièrement défiant par rapport aux tactiques politiques, inquiet des conséquences de la crise et attaché aux valeurs traditionnelles pourrait être de donner ses voix à la seule candidate susceptible de renverser demain la table dans le camp conservateur. Quitte à devoir accepter la victoire de François Hollande, autant œuvrer pour une recomposition qui, comme dans plusieurs démocraties européennes, donnerait plus d’écho aux sirènes populistes.
L’écart entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen semble cependant suffisant pour écarter a priori l’hypothèse d’un 21 avril à l’envers. Mais la constante de cette élection présidentielle, qui se résume plus à un référendum « stop ou encore » avec le Président sortant qu’à un choix de programmes alternatifs, laisse ouverte l’hypothèse d’un emballement des derniers jours. Ce qui se traduirait par un renoncement d’une partie des électeurs à soutenir une cause jugée comme perdue. Un tel scénario-catastrophe pour l’UMP pourrait profiter d’autant à la présidente du Front National et lui donner un rôle central dans la recomposition d’une opposition au probable vainqueur, François Hollande.