Si on laissait faire les sondages, Nicolas Sarkozy et François Hollande
seraient qualifiés pour le second tour et François Hollande serait élu au second tour avant même que les électeurs ne se soient prononcés. Deuxième partie.
C’est l’objet de ces réflexions bipolaires : prenons au mot les sondages et centrons-nous non pas autour du candidat sortant (donné perdant depuis le début de la campagne) mais autour du candidat favori, pour ou contre.
Dans mon précédent
article, j’avais examiné les trois raisons qui pourraient me faire voter pour François Hollande. Mon raisonnement se tenant sur trois étapes, que j’ai préféré bien séparer, je passe à la
deuxième partie. Voici donc, à l’inverse du premier article, trois raisons qui me feraient ne pas voter pour François Hollande.
1. Sa morale douteuse sur l’éthique et la bioéthique
Il y a deux mesures que François Hollande souhaite prendre et qui vont à l’encontre de ma conception même de
l’humain, sur des sujets peu politiques mais qui ont été politisés pour des raisons électorales.
Le premier concerne l’euthanasie active.
Sans dire le mot (on parle de faciliter la fin de vie), la proposition 21 du programme présidentiel de François Hollande indique : « Je
proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse
demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. ».
Je ne souhaite pas revenir trop précisément dans toute la problématique de l’euthanasie (je l’ai fait ici), mais je suis surpris des
expressions employées par le candidat favori.
D’une part, aucun malade n’est indigne de vivre. Ce n’est pas de l’indignité de souffrir, d’être en phase
terminale de maladie. Tout être humain est digne et s’il ressent de l’indignité, c’est avant tout à cause de son entourage. Si des proches l’entourent, l’aiment, lui montrent qu’il n’est pas de
trop dans la société, qu’il n’est pas un "boulet", ni un coût financier, alors le malade ne se sentira pas indigne.
D’autre part, il fait exprès de ne pas mentionner la loi Leonetti du 22 avril 2005 qui interdit l’acharnement
thérapeutique et qui insiste avant tout sur les soins palliatifs qu’il faut promouvoir (et donc y mettre le paquet en terme de financement qui manque cruellement).
Il ne faut pas que les malades souffrent, tout le monde est d’accord là-dessus. Cette loi est d’ailleurs très
peu connue des sondés qui, du coup, pensent que le choix (encore une bipolarité stupide) est entre soit souffrir dans l’acharnement thérapeutique soit être euthanasié. Il y a une solution médiane
de plus en plus proposée actuellement, et encouragée par la loi de 2005 où l’on réduit les souffrances du malade, ce qui peut, pas par but recherché mais par une conséquence secondaire, abréger
sa vie. En d’autres termes, l’euthanasie passive est déjà légale aujourd’hui.
Par ailleurs, les mots ("incurable", "insupportable", "phase avancée" etc.) auraient beaucoup de mal à être
définis convenablement : les maladies neurodégénératives sont-elles des maladies incurables ? faudrait-il encourager la personne dépressive à se suicider ? etc.
Enfin, le plus grave, c’est que ce serait une brèche immense d’ouvrir un droit à tuer, ce droit qui serait
réutilisé forcément un jour ou l’autre pour des raisons beaucoup moins honnêtes, pour des raisons idéologiques (cas d’un État totalitaire) ou des raisons financières (un malade en fin de vie
coûte très cher et immobilise un éventuel patrimoine).
La réalité de la légalisation de ce véritable droit de tuer, il suffit de l’observer dans les pays qui l’ont
autorisé. Par exemple, malgré la procédure et la loi, un tiers des patients en Belgique qui ont été euthanasiés l’ont été sans avoir exprimé
explicitement leur consentement (voir le rapport publié le 14 février 2012 qui commente ainsi :
« Ce constat pose évidemment de nombreuses questions éthiques et juridiques. »).
En 2006, on a même
recensé en Belgique neuf cas d’euthanasie pour "affection neuropsychiatrique" dont quatre de "dépression majeure" (or la dépression n’est jamais incurable).
Et les cas de dérapages ne sont pas exceptionnels comme en Suisse qui a légalisé le suicide assisté mais est
en train de revenir sur cette disposition à cause de certains cas troublants, comme ces deux personnes, frère et sœur, euthanasiées car atteintes de schizophrénie, dont le père était mort et la
mère internée, ou encore un couple de quinquagénaire souffrant d’épilepsie et de diabète.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait affirmé son encouragement « à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants (…) en maintenant l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la
vie des malades incurables et des mourants. » (recommandation 1418, 1999).
Le second concerne l’expérimentation sur les cellules souches.
Lorsqu’il a visité le 22 février 2012 le Génopole d’Évry accompagné du député-maire d’Évry, son directeur de
communication Manuel Valls, le candidat socialiste a indiqué qu’il était favorable à l’expérimentation sur
les cellules souches d’embryons.
Le sujet est assez délicat et très sensible, mais ce qui m’a assez étonné, c’est que la déclaration du favori
a été faite sans prendre beaucoup de réserve ni verbale ni surtout sur le fond.
Aujourd’hui, il y a des possibilités réelles, par la science, de pouvoir utiliser les cellules souches
d’embryons surnuméraires pour soigner des maladies graves et aujourd’hui inguérissables. Les pistes sont prometteuses.
Mais il y a un problème éthique essentiel dans cette recherche : c’est d’une part, le sort des embryons
surnuméraires, d’autre part, l’instrumentalisation du vivant humain (on instrumentalise déjà les
animaux).
Les embryons surnuméraires ont une drôle de destinée : congelés, ils attendent …rien ! Pour la
plupart, il ne seront plus réimplantés dans un utérus (parfois, leurs parents biologiques ont disparu depuis longtemps) mais on ne peut pas non plus les détruire dans la mesure où ils sont des
personnes en devenir. Donc, on les conserve congelés en attendant d’y voir plus clair.
Après tout, on pourrait avoir le même regard sur ces embryons que sur ceux qui sont expulsés lors de
l’avortement (ce sont même déjà des fœtus). À partir du moment où l’avortement est légal et n’est remis en cause par personne (sauf une candidate qui a choqué une grande majorité de femmes avec son concept d’avortement de confort), la loi
pourrait autoriser leur suppression.
Mais leur instrumentalisation ? Car c’est clair que la grande diversité des embryons actuels
permettraient de trouver les bonnes cellules souches qui iraient aux malades.
D’un point de vue éthique, ce serait en revanche une brèche grave sur l’utilisation d’un humain pour sauver
un autre humain. La prochaine étape serait inéluctable, à savoir "fabriquer" de nouveaux embryons qui s’adapteraient exactement aux caractéristiques des malades. Il y aurait alors deux sortes
d’embryons, les uns se développeraient normalement comme aujourd’hui pour devenir des personnes avec tous leurs droits, et les autres ne seraient que des morceaux de chair (des cellules) à puiser
pour guérir ou soigner d’autres humains. Et cela, ce serait, pour moi, inacceptable.
La dernière loi de bioéthique adoptée le 23 juin 2011 par le Parlement a conservé la préférence de
"l’interdiction avec dérogation" en renonçant avec sagesse à "l’autorisation avec encadrement".
À Évry, François Hollande avait exactement déclaré : « Aucune raison sérieuse ne s’y oppose. Une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon. (…) Certes, des limites sont nécessaires et ces recherches
devront être encadrées et soumises à des autorisations préalables délivrées par l’agence de biomédecine de manière à éviter toute marchandisation du corps humain. ».
Cela signifie qu’il accepte cette instrumentalisation à condition qu’elle ne soit pas marchande. C’est quand
même des propos graves !
Et parmi les arguments (étonnants quand s’il s’agit d’éthique !), il avait ajouté : « Nous rattraperons notre retard sur d’autres pays, (…) nous favoriserons le retour des post-doctorants partis à l’étranger. ».
Que le candidat favori veuille ainsi ouvrir la voie à cette instrumentalisation de l’être humain, d’une façon
aussi légère, sans réflexion et quasiment sans réserve, me fait peur sur sa conception de l’être humain.
Sur l’euthanasie et les cellules souches, la position de François Hollande est donc
ultralibérale : la société ne peut plus accompagner les mourants et il vaut mieux les supprimer, la recherche (et donc le profit) sur les cellules souches prime sur tout
autre considération éthique. Cela fait peur…
2. Capitaine de pédalo et risque de ruine financière ?
La critique la plus dure est venue de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, a une expérience ministérielle, mais c’est aussi l’argument béton de Nicolas Sarkozy : l’inexpérience tant intérieure (ministérielle)
qu’extérieure (internationale) du candidat socialiste serait une catastrophe pour une France en état de grave crise internationale.
C’est un argument à prendre avec des pincettes, évidemment.
D’une part, il faut bien commercer un jour, c’est comme la première embauche, il faut bien commencer sans
expérience. D’autre part, François Hollande est entouré d’une équipe particulièrement solide (en particulier Pierre Moscovici, Michel Sapin, Martine Aubry etc., pour ceux qui ont déjà eu une expérience
gouvernementale). Par ailleurs, le relationnel international se ferait bien sûr naturellement à partir du moment où il accéderait aux plus hautes responsabilités.
Cependant, il faut bien reconnaître que les relations tissées personnellement entrent dans une part non
négligeable dans les négociations internationales et la bonne connaissance de Nicolas Sarkozy avec (entre autres) Angela Merkel et Barack Obama ainsi que son volontarisme (pas toujours apprécié
de nos partenaires) sont des atouts dans une France en crise. Mais rien n’empêcherait un nouveau Président de tisser le même genre de relations faites de sympathie et de coopération.
En revanche, le plus grand risque, à mon sens, de l’élection de François Hollande, ce n’est pas son parcours,
ou non-parcours (Ségolène Royal, qui le connaît très bien, avait affirmé lors de la primaire qu’il n’avait
encore rien fait à son actif), c’est avant tout son programme qui est bien trop électoraliste.
Tout reste à savoir si son programme économique qui continue à faire dans la dépense publique sans faire
d’économies par ailleurs n’est qu’un leurre électoral (et donc un mensonge, ce qui paradoxalement me rassurerait) ou si au contraire, il compterait réellement l’appliquer en cas d’élection, et
dans ce cas, le pays courrait à la ruine programmée.
En particulier, son programme se base sur une croissance largement surestimée et aucun plan B n’est prévu. La
plupart des spécialistes (même de gauche) n’hésitent pas à dire que son programme est irréaliste (même Michel
Rocard le dit !).
Par ailleurs, les risques de spéculation contre la dette souveraine de la France sont toujours présents et
pourraient être renforcés avec son discours démagogique.
Pourtant, lorsqu’il a commencé sa lente campagne en 2010, je me souviens très bien qu’il était d’abord parti
du besoin de désendetter la France. C’était d’ailleurs sage et honnête de sa part. Malheureusement, la campagne aidant, il a cherché à faire du clientélisme exactement avec la même méthode que
son concurrent direct.
De plus, la percée dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon l’a obligé à faire des propositions plus à gauche
que prévu (comme cette mesure confiscatoire à 75% que rejette pourtant son conseiller budgétaire, Jérôme
Cahuzac).
D’ailleurs, les mesures qu’il a rajoutées à son programme montrent aussi une certaine impréparation qui a de
quoi faire peur…
Nier la crise et vouloir embaucher plus de 60 000 fonctionnaires en plus alors que nous sommes surendettés est peut-être efficace électoralement mais
c’est la route assurée vers la failllite de la France, le chemin d’Athènes ou peut-être de Madrid. La France a pourtant les ressources de se relever, mais à condition de prôner l’effort et la
responsabilité et pas la facilité et le laisser-dépenser.
3. L’éclatement du Parti socialiste
Un quatrième échec consécutif du candidat socialiste à l’élection présidentielle aurait un avantage
considérable : ce serait l’éclatement du Parti socialiste.
En effet, depuis 2005, mais en fait, depuis 1983, le Parti socialiste ne regroupe pas une communauté politique homogène. Le référendum européen sur le TCE a été très éloquent à cet égard puisque le PS a été
coupé en deux parties égales pour et contre. La grande habilité de François Hollande, premier secrétaire à l’époque, a été de préserver l’unité en refusant d’insister sur ce qui devrait être
l’enjeu majeur des décennies actuelles : la construction européenne.
Jean-Luc Mélenchon a eu une démarche cohérente (quoique tardive) en quittant le PS en 2008 et en construisant
l’équivalent de die Linke en Allemagne (fondé par l’ancien candidat SPD à la chancellerie Oskar Lafontaine). La campagne présidentielle a montré finalement la justesse de la démarche de Jean-Luc
Mélenchon. Pourtant, il n’a été suivi pas personne, pas même l’aile gauche du PS d’Henri Emmanuelli ou de Benoît
Hamon. Ni celui qui s’était écarté du PS pour les mêmes raisons européennes, Jean-Pierre Chevènement,
soutien actuel de François Hollande.
Pourquoi ? Tout simplement parce que le PS a conquis une grande majorité de collectivités locales
(municipalités, regroupements de communes, conseils généraux, conseils régionaux) et qu’il n’est devenu qu’un simple syndicat d’élus locaux.
Sa victoire au niveau national le replacerait comme un vrai parti de gouvernement et l’appât du pouvoir
mettrait en sourdine les dissensions idéologiques très fortes, alors que son échec remettrait en cause cette unité de façade (de la même manière que la cohésion de l’UMP n’est assurée que par le
succès électoral).
En ce sens, les zélateurs de Jean-Luc Mélenchon auraient intérêt à l’échec de François Hollande : cela
leur ouvrirait la porte à un grand parti de gauche dure avec l’aile gauche du PS et la constitution d’un pôle social-démocrate qui aurait pu être incarné par Dominique Strauss-Kahn et qui pourrait être mené maintenant par un Manuel Valls ou un Pierre Moscovici.
Trois raisons
Trois raisons pour, trois raisons contre. Comme on le voit, la bipolarité a ceci de pervers que le choix entre deux maux n’est jamais évident. La suite dans le prochain épisode…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (18 avril
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Manichéisme.
L’esprit de Valence.
Expérience dans
la décision.
Coup de menton.
Pas de majorité ?