Selon toute évidence, une majorité d’électeurs de droite s’apprêtent à voter Sarkozy au premier tour.
On peut s’interroger sur les raisons de ce choix, alors qu’il est de plus en plus évident que le Président sortant a très peu de chances de l’emporter face au PS. Les sondages n’ont varié qu’à la marge au cours de la campagne : au second tour, le résultat du match Hollande-Sarkozy s’est toujours soldé par un écart suffisamment important pour que la victoire du socialiste ne fasse aucun doute. Les ministres actuels, à commencer par François Fillon, s’appliquent d’ailleurs tous à trouver un point de chute après les élections.
Voter Nicolas Sarkozy le 22 avril, c’est en fait la certitude de porter à la présidence un François Hollande otage du programme de Jean-Luc Mélenchon.
Cette perspective devrait faire réfléchir les électeurs de droite – et cela d’autant plus qu’ils disposent dans la personne de François Bayrou d’une véritable alternative. Même si la législation interdit la publication des sondages testant le Béarnais au second tour, c’est désormais un secret de polichinelle : si François Bayrou était qualifié, il pourrait probablement l’emporter contre François Hollande.
Pourquoi alors cet acharnement des électeurs de droite ? Leur adhérence au vote « Sarko » n’est pas une adhésion à la personnalité du chef de l’Etat : au contraire, tout le monde souligne les limites de son style de gouvernement. Pour se faire réélire, lui-même en est réduit à promettre qu’il a changé.
Quels que soient ses mérites, Nicolas Sarkozy traîne comme un boulet son statut de président sortant. Les effets de la crise, 600 000 chômeurs de plus, une dette qui a augmenté de 500 milliards, une bonne santé insolente de l’économie allemande qui souligne les limites du modèle français : qui pourrait être réélu dans ces conditions ?
S’ajoute la rumeur des « scandales». Aucune des affaires n’étant arrivée à son terme, la présomption d’innocence devrait jouer à plein, mais le chef de l’Etat n’en est pas moins fragilisé par l’accumulation de dossiers où ses proches ont été mis en examen.
Par contraste, François Bayrou ne traîne aucune casserole, il a fait de la lutte contre les déficits une priorité depuis plus de cinq ans, il dispose d’un réel crédit de popularité au-delà de la droite.
Aucun des arguments avancés contre lui ne résiste sérieusement à l’analyse. Il manquerait d’expérience ? Il en a en fait plus que François Hollande, qui n’a jamais été ministre. Il n’aurait pas de majorité pour gouverner ? Les Français ont toujours donné une majorité en juin au président de mai, et il suffit d’entendre Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin pour comprendre que François Bayrou n’aurait pas grand mal à réunir les forces du centre et de la droite modérée.
Au fond, il ne reste qu’une explication au loyalisme des électeurs de Nicolas Sarkozy : un attachement presque mystique au clivage droite-gauche, et donc une rancœur vis-à-vis de la position centriste de François Bayrou, qui prétend le remettre en cause.
Bien sûr, François Bayrou n’incarne pas la droite, mais celle-ci peut se retrouver dans ses propositions (comme du reste une partie de la gauche modérée). En démocratie, il n’est pas rare que chaque camp doive retenir la position la plus compatible avec l’autre - et il n’existe pas aujourd’hui de majorité pour réélire Nicolas Sarkozy.
La comparaison avec l’attitude des électeurs socialistes est de ce point de vue frappante. Ceux-ci ont jeté leur dévolu sur Hollande uniquement parce qu’il avait le plus de chances de gagner. Pas parce qu’il avait une expérience d’homme d’Etat : Martine Aubry était mieux armée que lui de ce point de vue. Pas parce qu’il incarne la pureté idéologique de la gauche : là encore, Martine Aubry aurait davantage fait l’affaire. Non, ils l’ont choisi parce que c’était celui qui avait le plus de chances de gagner et qu’après dix ans d’opposition, ils voulaient absolument une victoire.
Les électeurs de droite seront-ils capables de la même maturité ? Il suffirait qu’un tiers de ceux qui s’apprêtent à voter Nicolas Sarkozy se reportent sur François Bayrou pour propulser celui-ci au second tour et mettre sérieusement en péril François Hollande. A défaut, la droite française se prépare à laisser les clés du pays à un front de gauche qui a fait campagne comme si la crise n’existait pas. A supposer que la France puisse se permette d’attendre, cela lui donnera toujours cinq ans de réflexion.
V.Naon