Le premier Américain d’Airbus est parti sur la pointe des pieds.
Les industriels de l’aéronautique ont souvent la mémoire courte et tendent malheureusement à ne pas témoigner à leurs grands anciens tout le respect qu’ils méritent. Une remarque qui vient à l’esprit en apprenant la disparition discrète, à 90 ans, de George Warde. Il fut en 1975 le premier responsable de l’après-vente d’Airbus Industrie puis directeur commercial, à partir de 1979, du «consortium» européen, à l’époque groupement d’intérêt économique de droit français.
Warde fit beaucoup, avec l’équipe de Bernard Lathière, Roger Béteille et Felix Kracht, pour établir pas à pas un début de crédibilité du jeune avionneur européen en Amérique du Nord. C’est lui qui ouvrit la voie conduisant à Eastern Airlines et à son charismatique patron, l’ancien astronaute Frank Borman et, finalement, à une commande de 34 avions, considérée à juste titre comme une victoire majeure qui allait contribuer à infléchir le cours des événements.
Mais Warde, un self-made man jovial, avait acquis avant cela de grandes compétences qui firent de lui un homme plus influent qu’il n’y paraissait à première vue, dans un contexte qui ne fut connu que d’une poignée d’initiés. Il avait en effet entamé sa carrière chez American Airlines, à 19 ans à peine, était peu à peu sorti du rang grâce à une intelligence remarquable et s’était hissé au poste de directeur des opérations de la compagnie. Un observatoire de grande valeur qui l’avait rapproché de Frank Kolk, directeur technique influent et très respecté d’American, reconnu par l’ensemble de la profession.
Kolk, à la fin des années soixante, estimait que le tout nouveau Boeing 747 n’était pas adapté à son réseau moyen-courrier et souhait l’apparition d’un avion nouveau qu’aucun constructeur n’envisageait à ce moment. A savoir un gros porteur d’une capacité de 300 places, aussi économique que possible, mais biréacteur. Une hérésie pour beaucoup d’experts de l’époque, ce que laissèrent bientôt entendre les destinataires de l’appel d’offres d’American. Dans le meilleur des cas, rétorquèrent les industriels, un tel appareil devrait être triréacteur, une affirmation qui conduisit bientôt à l’apparition des Douglas DC-10 et Lockheed L-1011 TriStar.
Chez American, Kolk et Warde ont alors dû s’incliner, par la force des choses. Mais ils ont partagé leurs idées, notamment, avec Roger Béteille et Felix Kracht qui, en 1969, avaient eu la brillante idée de leur rendre visite. D’où une identité de vues sans résultat concret immédiat mais qui devait encourager les Européens à persévérer dans la définition du futur A300B. Dans cet esprit, Warde leur a beaucoup apporté, indirectement, puis, dans un cadre élargi, lorsqu’il a succédé au Hollandais Dan Krook en qualité de directeur commercial du tout jeune avionneur européen. Fonction vitale basée à Toulouse qui, on le notera au passage, fut confiée plus tard à un autre citoyen américain de grand talent, John Leahy. A cette époque, Adam Brown, issu de Hawker Siddeley Aviation, devint directeur des ventes tandis que le financement des contrats était confié à Pierre Pailleret. Autant de noms aujourd’hui largement oubliés.
George Warde a laissé un souvenir fort chez Airbus. Sans tout à fait s’en rendre compte, il a marqué un premier tournant dans la courte histoire d’Airbus de l’époque en lui donnant une première touche mondiale. Rien n’était acquis, il fallait tout démontrer dans un environnement difficile, voire hostile. Warde fut aussi «chief executive» d’Airbus Industrie of North America. Plus tard, il retourna au transport aérien, l’actualité se chargeant ensuite de lui rappeler jour après jour qu’il avait participé utilement à une belle aventure européenne.
Pierre Sparaco - AeroMorning