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A priori, parler à un écran d’ordinateur n’est pas un signe de santé mentale. Sauf lorsqu’il s’agit de télépsychiatrie, un nouveau mode d’exercice proposé par une jeune société française, Eutelmed, installée au sein de la pépinière Paris Biotech Santé (université Paris-Descartes, l’Essec, l’École centrale Paris et l’Inserm). Grâce à une plate-forme technique ultrasécurisée, un patient qui se trouve à Séoul peut par exemple voir et entendre le thérapeute installé à Paris, et réciproquement. De la psychiatrie à distance. À très longue distance!
Pour le Dr Bernard Astruc, psychiatre et cofondateur d’Eutelmed, lui-même ancien expatrié, «la psychiatrie est ce qui se prête le mieux à la télémédecine. C’est-à-dire un acte médical qui utilise des moyens technologiques permettant de le faire à distance». Mais à condition que plusieurs règles soient respectées.
Plate-forme cryptée
Tout d’abord la confidentialité. «Ce qui impose une plate-forme hautement cryptée, comme l’est le système bancaire», explique le Dr Astruc. Deuxième impératif, la gestion des données par un hébergeur agréé pour les données de santé. La loi française est très pointilleuse avec toutes les informations qui concernent la santé et le Conseil national de l’ordre des médecins veille au grain.
La troisième condition que s’est imposée la société pionnière en France, «c’est qu’il y ait la possibilité d’un traitement et d’un suivi sur place, explique le Dr Astruc. Le patient se rend, pour cette téléconsultation, dans un lieu dédié où se trouve un professionnel de santé». Une façon aussi de contrer les critiques de déshumanisation qu’induirait ce nouveau type de relation entre un patient et son médecin. Le patient est ainsi accueilli dans l’établissement médical dédié à la téléconsultation et il est aussi accompagné après la séance. D’ailleurs, le psychiatre aura besoin d’un confrère sur place s’il recommande un médicament car la prescription à distance est interdite. Pour les psychothérapeutes qui interviennent, la question ne se pose pas puisqu’ils n’ont pas le droit de prescrire.
Pour le reste, tout se passe comme au cabinet médical, sauf le paiement à la fin par télépaiement. «Au début, j’étais un peu perplexe, reconnaît Nicole Massé-Muzi, psychothérapeute qui téléconsulte depuis l’été dernier. Comment construire un lien thérapeutique sans être présente physiquement?, se demandait-elle. En fait, ça se passe très naturellement, comme c’est le cas au cabinet. La seule chose qui me trouble un peu, c’est que l’on est irrésistiblement tenté de regarder l’écran et pas la caméra. À l’autre bout, le patient peut avoir l’impression qu’on ne le regarde pas!»
Une étude canadienne
Le face-à-face est-il équivalent à la téléconsultation? Pour répondre à cette question, une équipe canadienne a mené une étude comparative entre 2001 et 2004. Les chercheurs ont divisé en deux groupes près de 500 patients que leurs médecins généralistes avaient adressés pour consultation de psychiatrie à l’hôpital régional de Thunder Bay, Ontario, une province canadienne caractérisée par ses grands espaces. Dans cette étude, tous les patients devaient se rendre à l’hôpital de Thunder Bay, les uns pour voir un psychiatre, les autres pour «téléconsulter» un psychiatre situé à mille kilomètres de là.
Les profils des patients étaient comparables dans les deux groupes avec un diagnostic de dépression pour la moitié d’entre eux. Enfin les âges s’échelonnaient entre 18 et 65 ans, mais les trois quarts des patients avaient moins de 45 ans. Au final, l’amélioration, évaluée grâce à des questionnaires rigoureux, s’est avérée tout à fait comparable pour les deux groupes ainsi que le taux de satisfaction par rapport à la méthode utilisée.
«Les patients oublient vite la technique, assure le Dr Astruc, ils se comportent exactement comme au cabinet. Par exemple en fuyant le regard quand ils ont des choses difficiles à dire. Une patiente située en Asie m’a confié, quelque temps après avoir éclaté en sanglots lors d’une téléconsultation, que jamais elle n’aurait pensé fondre en larmes devant un écran!» Dans les études, seul un patient sur dix est rétif à la télépsychiatrie, les neuf autres trouvent ça aussi bien, voire mieux.
«Un moment dédié»
Comme dans l’intimité du cabinet de soin donc? En tout cas, le thérapeute lui-même se comporte comme si c’était le cas: «Je m’habille et me coiffe comme si nous allions nous rencontrer physiquement, ajoute Nicole Massé-Muzi, mais elle insiste: les gens doivent comprendre que c’est un moment particulier dédié à l’entretien. Ils doivent être seuls, ne pas être dérangés. C’est la condition de l’efficacité de la thérapie.»
Il y a quinze ans, le psychiatre australien Michael Baigent se posait la question dans le Journal of Telemedecine and Telecare: «Télépsychiatrie:télé, oui, mais qu’en est-il de la psychiatrie?» Depuis, la pratique s’est banalisée en Australie, comme dans d’autres grands territoires, notamment au Canada et aux États-Unis. Une façon de répondre à la question.
Éloignement et solitude
La télépsychiatrie en secteur privé est pour l’instant réservée aux expatriés. Avant tout parce qu’il n’est pas facile de trouver un thérapeute de même culture et de même langue dans tous les coins du monde. Car pour le reste, un expatrié n’est pas différent des autres patients: «Il part avec ses fragilités dans ses bagages», rappelle la psychologue Nicole Massé-Muzi. Il ne faut pas négliger non plus le risque mental lié à la solitude et à l’éloignement de ses proches. Dans certains pays, la télépsychiatrie est aussi possible en prison ou dans des établissements pour personnes âgées. Et pour les situations d’urgence, huit programmes de télépsychiatrie fonctionnent déjà aux États-Unis.
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