À l'UMP, c'est la grosse
ficelle du moment pour attirer les voix centristes au second tour, où Nicolas Sarkozy est encore à la peine : faire miroiter la possibilité, en cas de réélection du chef de l'État, d'une
nomination de François Bayrou à Matignon. Selon Le Canard enchaîné, l'ex-mentor du chef de l'État, Édouard Balladur, aurait soufflé lui-même l'idée : "Entre les deux tours, il faut clairement
laisser entendre aux électeurs centristes que Bayrou ira à Matignon. C'est notre seule chance de gagner", aurait-il confié. Alors, outre la proposition d'introduire 10 % de proportionnelle à
l'Assemblée nationale - une vieille revendication centriste, qui figure étonnamment en deuxième position du programme du candidat UMP -, plusieurs ténors de la majorité, dont Valérie Pécresse,
Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, y sont allés de leur appel du pied ces dernières semaines, faisant mine d'imaginer le Béarnais en chef de gouvernement.
Interrogé lui-même sur l'éventualité de nommer "un Premier ministre qui ne serait pas issu de l'UMP", Nicolas Sarkozy s'est bien gardé d'écarter l'hypothèse, jeudi, lors d'une conférence de
presse : "Est-ce que le président et le Premier ministre doivent être forcément de la même couleur politique ? Ce n'est inscrit nulle part. Est-ce que, dans le contexte de la France, après quatre
années de crise, avec les choix structurants qu'on a à faire, est-ce que le rôle du président, le devoir du président, est de construire le rassemblement le plus large ? La réponse est oui. Un
président doit s'ouvrir", a-t-il expliqué, se félicitant d'avoir nommé des personnalités telles que Bernard Kouchner, Fadela Amara et Jean-Marie Bockel au gouvernement.
Sarkozy grignote déjà les voix du centre
Au MoDem, depuis le début de la campagne, on prend de haut les flatteries de la droite, ajoutant que le Parti socialiste, lui aussi, fait les yeux doux à Bayrou. Personne n'ose d'ailleurs se
risquer à un pronostic sur le choix que pourrait faire (ou pas) l'ex-troisième homme entre les deux tours, tant l'équation paraît insoluble. Surtout, certains jugent le scénario peu crédible et
la manipulation électorale grossière. "Vous croyez vraiment que Sarkozy nommerait Premier ministre quelqu'un qui a trois députés ?" soupire, par exemple, un cadre, pour qui Bayrou serait utilisé
"à contre-emploi" à Matignon. Sans compter que, pour Nicolas Sarkozy, le calcul ne serait pas forcément bon : selon un sondage réalisé par Ipsos pour Le Point, en novembre dernier, seuls 13 % des
sympathisants UMP souhaiteraient avoir le patron du MoDem pour Premier ministre.
Autre raison pour les soutiens de Bayrou de ne pas être dupes : Nicolas Sarkozy a déjà, selon plusieurs instituts, commencé à siphonner une bonne partie de l'électorat bayrouiste, puisque la part
du report des voix centristes en sa faveur est en train de se rééquilibrer progressivement, après avoir été longtemps très en faveur de François Hollande (37 % pour Sarkozy contre 34 % pour
Hollande, selon le dernier Baromètre Opinionway pour Le Figaro). Pas encore suffisant pour rattraper son retard par rapport au candidat socialiste au second tour, mais presque une prouesse au
regard de la campagne du président sortant, dont la stratégie privilégie largement le pompage des voix du Front national.
Selon Brice Teinturier, de l'institut Ipsos, interrogé la semaine dernière, cette évolution est un "effet indirect de la montée de Jean-Luc Mélenchon". "Plus il monte, plus on voit des images
comme celles de la Bastille, le candidat le poing levé, etc., et plus une fraction d'électeurs de François Bayrou se dit que le poids de Jean-Luc Mélenchon peut pousser ensuite François Hollande
sur une ligne trop à gauche à leurs yeux." "Il est possible que l'on retrouve à l'arrivée quelque chose d'assez proche de ce qu'on avait en 2007, à savoir une répartition à peu près égale entre
le candidat de la gauche et le candidat de la droite", ajoute Brice Teinturier, qui juge en revanche peu probable que Sarkozy parvienne à attirer plus de 50 % des électeurs bayrouistes.
"Un gouvernement, ce n'est pas une bande de copains"
Jeudi, le président-candidat n'a donc pas été jusqu'à lancer des fleurs à François Bayrou, qu'il observe s'affaisser dans les sondages. Nicolas Sarkozy a surtout joué la prise de hauteur sur
cette question purement politique, rappelant qu'il s'agissait strictement d'une "prérogative" du président de la République. Un rôle - "le choix des hommes" - qu'il a jugé très "difficile",
"engageant", "lourd sur les épaules". Par contraste, le chef de l'État a moqué au passage ses adversaires socialistes, à qui il reproche régulièrement de se voir déjà au pouvoir : "Ségolène Royal
est déjà présidente de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius est déjà ministre des Affaires étrangères, Michel Sapin (très proche de François Hollande, NDLR) est déjà déçu..."
Mais c'est une pique moins habituelle qui a surtout été remarquée : le chef de l'État n'a pas hésité à sévèrement tacler les membres de la majorité qui s'étaient exprimés sur le sujet : "Tous
ceux qui donnent leur avis, c'est amusant, c'est sympathique. Je les regarde, mais je ne suis pas sûr d'en tenir compte", a-t-il lâché, expliquant qu'il "désavouerait" tous ceux qui oseraient
faire des pronostics. "Un gouvernement, ce n'est pas une bande de copains", a-t-il encore estimé, fustigeant la "puérilité" de "certains de (s)es amis" qui "fixaient leur mérite à l'ancienneté de
leur amitié avec (lui)". Une allusion aux "sacrifiés" du début ou de la fin du quinquennat, dont faisaient notamment partie Patrick Devedjian, Christian Estrosi, Thierry Mariani, Brice
Hortefeux...
Source : Le Point