Fémi PETERS - Notre-Dame-des-Lettres: 7-/10

Par Eden2010

Fémi PETERS – Notre-Dame-des-Lettres : 7-/10

En voilà un joli premier roman, qui, malgré son évidente jeunesse, constitue un très beau début littéraire. On en tourne les pages et sans s’en apercevoir on a lu le roman entier !

L’histoire d’un couvent littéraire

« Notre-Dame-des-Lettres » n’est pas seulement le titre de ce roman, mais également celui d’un couvent un peu particulier dont il nous raconte l’histoire : un couvent dédié à la littérature.

Nous entrons dans ces lieux consacrés à la Littérature (avec un « L » majuscule) en compagnie de William Tesson, que tout le monde appelle Willy, qui, alors qu’il n’a que seize ans, ressent la vocation, la vraie. Dédier sa vie à la Littérature, cela lui semble évident, et il est ainsi le plus jeune novice à avoir jamais rejoint ce couvent d’un genre nouveau.

« Notre-Dame-des-Lettres » ressemble à tous les monastères : les frères et sœurs y vivent cloitrés, séparés du monde extérieur, se vouent à la prière et à l’écriture, à la lecture et aspirent à toujours cultiver leur esprit. La seule différence étant qu’il s’agit d’un lieu mixte.

Et ici, la religion est celle de la Littérature.

Et je dois dire, pourquoi pas ? La Littérature devient une déesse, elle est entourée de l’Inspiration et du Style, l’Ecriture est son enfant.

Bien que les préceptes ne soient pas vraiment religieux (il n’y est pas question du paradis, d’âme ou autre), l’idée est séduisante : un lieu où l’on dédie sa vie à la Littérature.

Mais revenons-en à notre histoire : Willy entre donc dans le couvent et revêt, pendant un an, la robe rouge des novices avant de prononcer ses vœux : vœu d’écriture, de lecture et de culture.

La vie est rythmée par des rituels, des prières, des messes, des repas communs, des corvées à accomplir et à partager, et chacun se consacre à sa spécialité, que ce soit la poésie, les pièces de théâtre, les romans ou autre.

Nous restons dans ce couvent des années durant, observons Willy grandir, murir, écrire, nous sourions face à ses doutes et secouons la tête devant son ambition de faire de la Littérature une religion pour tous … bref, nous observons la vie des frères et sœurs de « Notre-Dame-des-Lettres ».

Un voyage dans le monde de la Littérature

On se dit alors, en tant que lecteur potentiel : ce roman doit être ennuyeux, il n’y a pas de véritable intrigue !

Et bien, non, on ne s’ennuie pas. Et ce alors même que les jalousies entre frères et sœurs restent limitées, que les drames sont quasi inexistants dans ce livre.

C’est surprenant, mais malgré l’absence d’évènements véritablement marquants, nous suivons l’histoire de Willy sans nous apercevoir que nous tournons les pages !

Oui, Willy s’active : il écrit son roman, soutient son amie d’enfance qui aspire à devenir comédienne, discute avec ses amis du couvent, a de multiples projets pour la Littérature … mais si l’histoire gravit des collines, ce ne sont finalement que des monticules, jamais des montagnes rocheuses.

Et pourtant, pas d’ennui, au contraire, un plaisir de lecture réel ! Je n’en reviens pas moi-même.

J’ai donc tenté de comprendre.

Déjà, c’est un roman qui fait du bien. Il est agréable et, il faut l’admettre, l’idée est très belle et amenée avec simplicité.

Des petites citations parsèment le roman, des phrases qui égaillent les chapitres. Même l’humour des frères et sœurs est en adéquation avec les lieux, car souvent ils se lancent des traits d’esprit tirés de diverses œuvres littéraires.

Mais attention, ce n’est pas lourd, pas du tout ! Ne vous attendez pas à des citations fastidieuses ! Il s’agit simplement de quelques phrases parlantes. Si ce n’étaient pas des citations, ce seraient des réflexions amusantes.

De plus, l’auteur n’oublie pas de laisser le personnage central lire du Mary Higgins Clark, et une novice est admise sur la base d’un roman de Science-Fiction, rappelant ainsi que la littérature évolue. D’ailleurs, certains frères fuient des lectures qu’on dit incontournables ou admettent tout simplement qu’ils ne comprennent pas tout ce qu’ils lisent ou entendent.

Donc, quelques touches de modernité font que l’on n’oublie pas que la littérature n’est pas figée mais vit, il n’y a pas d’échelle de valeur, juste l’intensité des lectures.

On s’en aperçoit aisément : Fémi Peters aime la littérature sous toutes ses formes et elle souhaite partager sa passion.

Les personnages, sans avoir une grande profondeur, sont sympathiques et colorés, bien qu’on aurait aimé connaître un peu plus sur le passé des uns et des autres. Comment Sœur Isa fait-elle le deuil de la maternité ? Comment s’en sort frère Thierry, oublie-t-il sa sœur, peut-il se remettre de sa perte ? Et frère Pierre alors, quel est son passé ?

Dans ce roman, comme je le disais en introduction, on est surtout frappée par une jeunesse évidente qui se retrouve un peu partout, dans l’histoire comme dans le style.

Cette jeunesse est autant une qualité qu’un défaut :

La jeunesse dans le style va de pair avec une fluidité et une légèreté qui rendent la lecture plus qu’agréable. L’écriture est douce, faite de petites touches, laissant deviner la sensibilité de l’auteur.

Toutefois, la plume manque encore d’une empreinte un peu plus appuyée, d’une personnalité plus affirmée. Peut-être l’auteur, dont c’est le premier roman, n’a pas encore osé. On sent néanmoins le talent qui se cache entre les lignes.

Cette même jeunesse se retrouve dans l’intrigue, et dès la toute première page une question me taraudait, je pensais même à plusieurs occasions qu’on y apporterait une réponse puisqu’on effleurait un sujet similaire, mais non : les frères et sœurs qui entrent à « Notre-Dame-des-Lettres » se promettent d’être chastes et de vivre loin du monde extérieur. Ils réduisent les contacts avec leur famille et leurs amis au maximum, les liens se limitant à quelques lettres. Ils vivent donc comme des moines.

Mais alors ? Comment un écrivain qui n’a jamais souffert, n’a jamais aimé, n’a jamais fait l’amour, n’a jamais connu la jouissance, n’a jamais connu de vraie déception, de perte, n’a jamais ri ni pleuré, n’a pas vécu d’expériences marquantes par lui-même et ne connaît toutes ces émotions qu’à travers ses lectures, donc par procuration, comment peut-il véritablement écrire ? Comment peut-il transmettre une émotion dont il ignore tout ?

Oui, Jack London n’a jamais été au Klondyke (etc. etc.), mais les émotions, on doit les avoir eues pour les décrire, à mon avis du moins. Les circonstances factuelles peuvent être imaginaires, mais le sentiment doit être réel.

A plusieurs reprises, Willy s’approche de la question – mais dévie. D’ailleurs, lui-même ne vit pas de véritable passion (sauf pour la littérature, bien sûr).

C’est pour moi un petit « hic » dans le raisonnement de cette religion, un point illogique : cloitrer l’auteur est le priver de son inspiration, le tenir à l’écart des joies et des souffrances est le priver de ce qui animera son œuvre et lui insufflera la vie.

Ah, cela m’amène à un autre petit « manque » : les attirances entre les frères et sœurs. L’auteur y fait allusion mais ces quelque cinquante hommes et femmes qui partagent leur vie durant les mêmes lieux devraient nécessairement vivre quelques drames relationnels ! Je l’admets, ce n’est pas du tout l’objectif du roman, mais je suis curieuse … comme quoi je m’y crois et que j’ai envie de savoir ce qui se passe dans les couloirs  … mais alors, si ma curiosité est éveillée, le but n'est-il finalement pas atteint ? Je retire donc cette observation qui n'a plus de fondement. Le serpent se mord la queue.

Dans l’ensemble, j’ai clairement passé un excellent moment en lisant ce roman.

« Notre-Dame-des-Lettres » a ce petit « quelque chose » que l’on recherche dans un livre, ce petit truc qui nous laisse avec une bonne sensation à la fin de la lecture.

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