Alors voilà. Ogilvy, j’y ai fait mes premières armes, j’aime David, et j’aime aussi le cadre de pensée du Big Ideal.Un cadre de pensée clé pour les agences puisque la prétention est d’avoir d’un côté une tension sociétale et de l’autre une marque “au meilleur d’elle-même”. La combinaison des deux doit permettre de résoudre un problème sur ce schéma type :
Mais ce matin, je découvre par hasard le spot qui commence à faire le tour du web, intitulé “Homeless“.
La “promesse” si on s’en tient au film et au descriptif YouTube : aider “directement” les gens qui vivent dans les rues de Paris en optimisant (sic) la communication des SDF en créant des panneaux plus “pertinents” qui permettraient d’engranger plus de pièces.
Plusieurs éléments me déplaisent en termes de valeurs éthiques :
- considérer que la mendicité est donc une activité économique “comme une autre” qui peut être optimisée
- faire croire que le mendiant des Champs pourra un jour, comme dans une production Disney, se transformer en Père Noël un peu magique par la grâce d’une rencontre ou d’un “coup de cœur”. LMC mentionnait d’ailleurs que le “bumvertising” est un classique de la pub “non profit”. Mais d’une belle histoire isolée à un changement de masse, il y a quelques systèmes solaires d’écart…
Mais faisons fi de la morale un instant (après tout, chacun voit midi à sa porte, surtout quand c’est chez le voisin). Et insistons sur la mécanique mise en œuvre.
Un petit débat a eu lieu sur mon mur Facebook suite à cette vidéo, et une critique résume la faiblesse de la création :
“C’est un nouveau paradigme : l’effet bisounours… ou l’incapacité à se projeter dans l’avenir ?” S.L.
C’est bien le cœur du problème. Le principe du Big Ideal d’Ogilvy est de changer la perception des groupes d’individus sur le long terme. Dans le cas de “Homeless” : on ne change pas les raisons structurelles de pourquoi les gens sont dans la rue.
Il n’y a pas d’analyse du passé des “18 nouveaux clients” : les effets qui les ont conduits à se retrouver dans la rue. Or si on en croit cette étude, notamment établie avec Caritas, les 18 semblent avoir tous exactement le même style de vie, alors que les frontières entre précarité / pauvreté / mendicité tendent à se complexifier
Il n’y a pas de place dans le spot pour un meilleur avenir pour ces 18 – ou alors à croire que ces 18 ont choisi de vivre dans la rue- ce qui est une idée assez insupportable…
On ne sait pas vers quelles aspirations ils veulent aller. Le film commence avec une phrase terrible, “my biggest dream cannot become reality”. Et ne répond pas à la question finale.
Pire, ce film pourrait bien être -très- contre-productif. Toujours dans la même étude citée, un constat terrible saute aux yeux :
- il existe déjà une concurrence entre mendiants.
Dans une économie de l’attention (soyons cyniques à 100% tant qu’à faire), les “secondes” sont donc rares, et créer de l’engagement, compliqué. Dans le cas des mendicités à Paris, les zones de passage sont donc les zones de combat pour générer le don des passants. L’argent étant lui aussi rare, en “équipant” les mendiants d’outils de com’, on induirait 2 effets pervers a minima :
- celui d’établir une hiérarchie entre les “bons pauvres” et les “mauvais pauvres” (aka ceux qui ne sont pas assez créatifs pour survivre)
- celui de réduire parallèlement le “coût pour mille” : en habituant les passants à acheter une “performance” ou une “création”, on diminue aussi la valeur du coût contact, la base de temps & d’argent étant limité. On tue donc une deuxième fois l’appel à don.
Bref, j’ai l’impression dans ce spot qu’on est restés très superficiels, très tactiques, très conservateurs et même très naïfs. Lire sur la mendicité l’actualité sur YouPhil qui présente régulièrement des initiatives qui changent la vie. Si on veut la changer.