D’abord le vent. Froid. Qui souffle autour du château de Vincennes aux environs de midi, lui donnant des allures de lande automnale. La crainte que ces conditions météorologiques peu clémentes ne découragent le public de venir au grand rassemblement. « Météo nationale, météo du capital ! ». Longue remontée des pelouses qui longent le fort pour atteindre l’esplanade. La scène, monumentale, surplombe les baraques à frites et les véhicules de chantier qui terminent l’installation.
Puis les gens. D’abord un petit filet, qui devient un flux de plus en plus dense, se déversant depuis le métro, le RER, les arrêts de bus, les trottoirs. Une foule mélangée, des jeunes, des vieux, des moins jeunes, des moins vieux, de toutes les couleurs de peau et de vêtements, seuls, en groupes d’amis, avec des poussettes, des victuailles pour piqueniquer, des nappes, des chaises pliantes. « La fête à Neuneu », s’était gaussé auparavant un responsable du camp sarkozyste. Plus exactement, un rassemblement populaire, ce fameux « peuple de gauche » qui sort au grand jour pour se rassembler, réchauffer son cœur (à défaut de son corps) dans cette euphorie festive qui fait que la gauche reste la gauche.
Puis la musique. En face, à l’autre bout de la ligne 1 du métro, on a appelé « la majorité silencieuse » à venir se compter. Ici, c’est une joie simple et bruyante qui se manifeste. Sur scène un orchestre de bal populaire rivalise avec les fanfares et battucadas qui cheminent au milieu de la foule en formation. Une clameur accueille l’arrivée de la troupe du Théâtre du Soleil, apportant avec elle l’immense marionnette de la Justice qui avait déjà illuminé les manifestations contre la réforme des retraites. Elle se trémousse au son du zouk de Kassav’, qui, hasard ou coïncidence, joue sous le soleil qui arrive enfin à percer les nuages.
Puis la marée humaine. Les ruisseaux d’arrivants ont finir par gonfler jusqu’à déborder le lit des parcours balisés. Vu de la scène ou du talus qui mène au fort, les images sont impressionnantes. Combien sont-ils, 80 000, 100 000, plus ? Les discours politiques commencent. Bertrand Delanoë rappelle à ceux qui l’avaient oublié ses talents de tribun. Une émotion dramatique imprègne sa voix. Ici, dit-il, nous sommes venus nous rassembler sans haine, contre personne. Chacun comprend l’allusion à la Concorde, où l’on va faire huer les syndicats et la « minorité agissante ». Lui aussi a mis fin au règne sans partage de la droite, au plan local. Il y a dix ans il appelait à un « changement d’ère » à Paris. Les militants se souviennent.
Puis le candidat. On s’inquiète souvent de sa voix, de plus en plus éraillée, qui serait le signe de sa fatigue. Malgré le froid et le vent qui s’abat sur la scène, il démontre à ses détracteurs qu’il a en a encore « sous le pied ». Une autre pratique du pouvoir, une France à rassembler, la nécessaire … rupture avec le désordre économique, politique et moral qui a régné en France depuis 5 ans. Les thèmes sont désormais connus et le ton peut-être moins vibrant qu’au Bourget. La situation a changé : « je suis prêt », il le dit et le répète, et c’est effectivement déjà plus un pré-discours de Président qu’un propos de candidat au destin mal assuré que l’on entend. La route s’est affirmé, le chemin s’est éclairci.
Puis l’appel. Rien n’est fait, tout reste ouvert, tout va se jouer dans une semaine, au moment du vote. Donnez-moi la force, harangue-t-il le public, donnez-moi la force d’être le plus haut possible au premier tour, pour vous offrir l’alternance à l’issue du second. La Marseillaise explose. La foule suit. La température semble avoir repris quelques degrés depuis mon arrivée, 4 heures auparavant. Chacun repart, plus décidé que jamais, pour une dernière semaine de campagne avant la phase finale. « On n’a jamais été aussi proche », me souffle un collègue blogueur, les yeux perdus dans le lointain. Une pensée partagée par 100 000 esprits.
Romain Pigenel