Lecture : Monique DE KERMADEC, « L’ADULTE SURDOUE », Albin-Michel, 2011.

Par Ananda

Surdoué ! Les gens, dans leur fantasme, imaginent déjà un être doté de superpouvoirs et assuré de ce fait de la réussite dans tous les domaines.

Eh bien, l’ouvrage que Monique DE KERMADEC consacre à « L’ADULTE SURDOUE » nous détrompe, de façon presque douloureuse.

A lire cette psychologue thérapeute spécialiste de la prise en charge des adultes « à haut potentiel » - soit une minorité regroupant seulement 2% de la population et se caractérisant par un QI de plus de 130 – il n’est pas de cadeau du ciel plus empoisonné que la « douance ».

Car le surdoué – à l’instar de tout être qui sort de la norme, et peut-être même plus – excite les peurs.

Il est, d’abord, un individu qui pense différemment, et beaucoup trop vite. Ses idées, ses façons de penser, d’envisager le monde, si elles en font un créatif né, le condamnent aussi à être incompris, voire regardé comme un être bizarre. Ce regard des autres, d’emblée, le renvoie à une différence qui l’isole, ce dont il souffre d’autant plus qu’il est, par ailleurs, un sujet intensément émotif et réactif, hypersensible et par conséquent d’une VULNERABILITE beaucoup plus grande que celle des autres êtres humains. En clair, le surdoué est très mal taillé pour vivre parmi ses « semblables ».

Mutant ou pas (on ne le sait pas encore), il fait figure de « Martien » et a la nette impression de l’être. Non seulement sa « boulimie » d’apprendre, son perfectionnisme outrancier, ses exceptionnelles capacités de concentration et de mémoire, son « pouvoir inventif », son « hyper perception du monde », sa « lucidité » poussée à l’extrême et sa « capacité naturelle à prendre des risques » font du lui une victime toute désignée de l’ENNUI dans un univers humain assez fortement enclin au conservatisme, mais encore il se heurte très vite à des réactions de rejet et de « haine » souvent suscitées par l’orgueil et donc par la jalousie des autres êtres humains.

Ses capacités empathiques étant exagérément développées, il comprend mal la relative absence de sensibilité dont font preuve les autres, lesquels, du reste, le comprennent au moins aussi mal que lui les comprend.

C’est ce qui explique qu’il tourne si facilement le dos à la réussite pour devenir un inadapté social qui souvent présente tous les traits de la névrose patentée et, de ce fait, induit en erreur la plupart des psys qu’il est amené à consulter en raison de son profond malaise.

Sombre tableau. Qui s’assombrit encore quand on porte attention aux conséquences – non moins funestes – de cet écart : car le surdoué réagit en réprimant les dons qui sont les siens, ou en les ignorant, en créant entre lui et ses aptitudes peu communes de véritables blocages. Son souci de normalité, d’intégration sociale est tel qu’il en vient à se fabriquer un véritable « faux self » à seule fin de se faire accepter par les autres (ce qui répond, on le sait, chez tout être humain, à un besoin vital).Voilà qui ajoute une note supplémentaire à son malaise, car il devient coupé de lui-même et, bien trop souvent, passe à côté de son authenticité, de son propre destin.

Se percevant comme « anormal », il hait ses dons et, s’en sentant coupable, se met à douter sérieusement de sa propre valeur.

Ou encore il lui arrive de verser dans une « amertume », une rancœur et un sentiment de frustration qui le rendent agressif, hostile (quelquefois même, tenté par la délinquance), méprisant à l’égard de la masse grégaire et moyennement intelligente des gens normaux, dont il peut également apprendre à se protéger en s’isolant, en se repliant sur lui-même dans la seule compagnie des livres qui, seuls, le stimulent, le consolent et ne le menacent pas ; ce sera sa manière à lui de se faire « le plus discret possible », de s’effacer, en quelque sorte, d’un monde qu’il perçoit comme ne voulant pas de lui.

Analogue en cela à l’autiste, le surdoué manque d’ « intelligence sociale » ; « ses pics d’émotion – cette balance perpétuelle entre l’extériorisation et l’intériorisation qui le fragilise – l’épuise et le rend invivable aux yeux de son entourage ».

Trop d’intelligence semble donc autant nuire que pas assez.

Tout se passe comme si le surdoué souffrait d’une hypertrophie des caractéristiques qui sont propres à l’espèce humaine, à savoir l’intelligence, l’empathie et la créativité.

Trop haut perché dans les limbes de l’intelligence et de la lucidité exacerbée que celle-ci entraîne, il est un peu comme un aigle en vol qui regarderait la terre de trop haut. Déçu par la médiocrité de la vie humaine sous toutes ses formes, il deviendra volontiers, dans certains cas, une sorte de rebelle, de franc-tireur qui rejettera l’autorité, la discipline et la hiérarchie. Ce qui lui vaudra d’être mis dans le collimateur des « chefs » qu’au fond, il ne respecte guère.

Sa forme de pensée l’incite par ailleurs à se dérober à toutes formes de formatage. Et c’est logique : il pense trop par lui-même et il pense de façon trop originale pour ne pas risquer de s’en démarquer, de les critiquer, de les remettre en question. Comment ne le ferait-il pas, lui qui se pose des questions en permanence ? Lui qui est toujours porté à entrevoir d’autres solutions ? Les systèmes autoritaires et rigides ne sauraient guère voir d’un bon œil cet individu qui, à leurs yeux, ne reconnait pas l’ordre établi.

Ainsi, nous apprend entre autre et à titre d’exemple, Monique de Kermadec, l’adulte surdoué ne se trouve guère à son aise dans une société telle que la société française. Pays de l’égalitarisme à tout crin et du culte de la fonction publique, la France est en effet dotée d’un modèle étatique fort et autoritaire, de type très centralisateur. Son attachement assez rigide aux hiérarchies et aux traditions se prête mal à la prise en compte d’un phénomène tel que la douance.

Alors ? Le surdoué est-il irrémédiablement voué à la relégation dans la solitude ?

Après avoir mis l’accent sur les handicaps qui sont les siens et leurs (parfois) tragiques corollaires, Monique de Kermadec se met en devoir de nuancer son propos : non, tout n’est pas perdu.

A présent que nos sociétés sont au fait de cet étrange (et souvent peu compréhensible) phénomène, elles sont en mesure de proposer, de préconiser des parades.

Le premier réflexe doit être un réflexe de DETECTION. Non seulement l’adulte surdoué doit impérativement être identifié en tant que tel, mais il doit l’être au moyen de TESTS DE QI UTILISES PAR DES PSYCHOLOGUES SPECIALISES (car les tests de QI ne sont pas utilisables n’importe comment, ni par n’importe qui).

Ensuite devra intervenir une prise en charge thérapeutique qui visera à restaurer l’estime de soi du malheureux et à l’amener à ASSUMER PLEINEMENT SES DONS ET SA NATURE, l’une des principales étapes de ce type de travail psychique se focalisant sur le problème du faux self et des déformations pseudo névrotiques.

Car, plus que tout autre, le surdoué a besoin de reprendre contact avec lui-même – et, compte tenu de tout ce que nous avons dit plus haut, il ne pourra le faire que rassuré, accompagné, encouragé et soutenu, accepté pour ce qu’il est vraiment.

Le principal « dragon » qu’il aura à terrasser ? Le manque de confiance en lui.

Une fois cette étape capitale de « restauration du soi » franchie, ses doutes omniprésents cèderont le pas à une assurance nouvelle indispensable à l’expression de soi qui, à son tour, lui permettra enfin d’aller de l’avant, notamment en se tournant vers la compagnie d’autres surdoués dans le cadre d’associations (mais oui, ça existe !). Le sentiment de solitude, de singularité quasiment « monstrueuse » se trouvera, de la sorte, brisé tout comme un mauvais maléfice et, comme pour la Belle au Bois Dormant, ce sera l’heure du « réveil ».

Il est intéressant de constater, à la faveur de la lecture de cet ouvrage, que la douance est indissociable de l’empathie et de la haute sensibilité. Cela voudrait-il dire que plus on est intelligent, plus on est tourné vers l’autre ? L’équation « bon = con », à ce moment-là, ne prendrait-elle pas un sérieux coup ?

Quoiqu’il en soit, il ressort de tout ceci que le surdoué a besoin d’AIDE. Adulte, il est trop âgé pour avoir bénéficié des stratégies de dépistage dont ont la chance de bénéficier aujourd’hui (du moins dans les pays économiquement riches et scientifiquement avancés) les « enfants précoces ».

Ce livre se veut, en somme, un appel à l’espoir : il n’est jamais trop tard…Car les dons du surdoué, fort heureusement, le suivent toute sa vie.

PL