J’avais signé l’acte de vente quatre heures plus tôt. La maison était désormais mienne. J’avais bataillé ferme pour l’obtenir. Elle ne devait m’échapper en aucun cas. Les souvenirs sont ce qu’il nous reste une fois que tout s’est dispersé. Depuis le compromis, je n’avais jamais dormi d’un sommeil paisible tant j’avais peur que, pour une raison ou pour une autre, je ne sois pas le propriétaire de cette maison isolée. Les rares amis à qui j’en avais parlé ne m’avaient pas compris. Qu’allais-je faire de cette maison ? Nadège était même allée jusqu’à me dire que c’était malsain et que, de toute façon, je ne pourrai jamais oublier ce passé. Alors à quoi bon dépenser en vain les économies accumulées pendant plus de vingt cinq ans ?
Je n’avais pas cherché à m’expliquer davantage. Ils ne pouvaient pas comprendre de toute façon. Il fallait attendre pour cela.
Depuis la ville la plus proche, il fallait rouler une heure sur des routes escarpées avant d’atteindre le Coteau. C’était le nom qui était associé à cette maison, bien qu’aucun plan ne le mentionnât. C’était significatif du sort qui attendait cette demeure : être rayée de la carte, à tout jamais.
Lors de la remise des clés, le notaire n’avait pu me fournir qu’un seul trousseau. Le second était introuvable, paraît-il. Il m’avait encouragé à faire changer les serrures. Après tout, des squatteurs avaient bien vécu là quelques années auparavant, ils pourraient revenir. Le clerc n’avait pas compris mon rictus et l’avait mis sur le compte de la peur. C’était mal me connaître. Ma peur est fixée aux murs de cet endroit depuis plus de 35 ans, elle ne m’accompagne plus. C’est pour cela qu’il faut agir.
L’ancien propriétaire de cette maison, c’est Lui, vous l’aurez compris. L’homme qui m’a retenu là neuf mois durant, me réduisant au néant, faisant basculer ma vie dans les ténèbres. La confiance et l’abandon me sont étrangers depuis. Aucune femme n’est restée dans mes bras après mes confidences. Ton passé est trop lourd à porter. Logique, n’est-ce pas ? Il vaut mieux être seul dans ce cas.
Il y a trois ans, en parcourant le journal d’un oeil distrait, un article avait attiré mon attention : un vieil homme avait séquestré un adolescent pendant plusieurs semaines, dans une vieille maison. Le rédacteur restait silencieux sur le traitement réservé au jeune homme. Je n’avais pas besoin qu’on me le dise, je le connaissais par coeur. Sorti de prison dix ans plus tôt, je le croyais pourtant sur le chemin de la rédemption. J’avais cru pouvoir le pardonner.
Il est mort il y a tout juste 367 jours. Depuis, je n’avais qu’une idée en tête.
Arrivé face à la demeure, je sortis un bidon d’essence et une boîte d’ allumettes. Quelques heures plus tard, il ne restait plus aucune trace de cette sombre bâtisse.
Texte écrit dans le cadre de l’atelier hebdomadaire de Leiloona, Une photo, quelques mots. Cliché de Romaric Cazaux.