Le BEA, Breguet, un roman.
** Enquêteurs. A l’opposé des articles de presse, les livres vivent longtemps. Mais il n’est pas interdit pour autant aux écrivains de traiter des sujets d’actualité, lesquels s’inscrivent parfois dans la durée, par exemple les travaux du Bureau d’enquêtes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, le BEA. D’où le choix judicieux de Germain Chambost, auteur prolifique dont le dernier opus s’intitule «Le BEA, les enquêteurs du ciel à la loupe» (Editions Altipresse). Un livre écrit avec recul mais qui n’en déboule pas moins dans l’actualité à un moment bien choisi, à condition de le lire au second degré.
Il s’agit du récit de quelques enquêtes relatives à des accidents très différents qui ont impliqué, notamment, un petit Twin Otter et un gros A330-600. Ce dernier s’est vite effacé de nos mémoires, après un accident au sol pour le moins original, la violente rencontre du quadriréacteur , à Blagnac, avec un mur antibruit. Mais l’essentiel est ailleurs, les thèmes retenus constituant autant de prétextes à mettre en exergue l’acharnement des enquêteurs à déceler les causes des accidents, de les analyser, d’en tirer les leçons et, le cas échéant, de formuler des recommandations adressées à l’ensemble de la communauté mondiale de la sécurité aérienne.
Du coup, on aurait évidemment voulu en savoir davantage sur ces techniciens de haut vol, anonymes, discrets. Mais ils restent dans l’ombre, forme suprême d’abnégation, même quand le BEA essuie d’injustes critiques, qu’il est accusé de subjectivité, de participation à une supposée théorie du complot qui n’existe que dans l’imagination de pseudo-spécialistes mais n’en trouble pas moins certains esprits. Du coup, l’ami Chambost, à mi-chemin entre reportage et exposé didactique, coup d’œil bienvenu dans les coulisses, fait œuvre utile, bien plus qu’il n’apparaît à première vue. Son texte tient de la réhabilitation, dans la mesure où celle-ci serait nécessaire.
** Breguet. Le hasard fait bien les choses : Emmanuel Breguet, né en 1962, est non seulement historien mais il a œuvré pendant 7 ans au sein du service historique de l’armée de l’Air avant de rejoindre l’horlogerie. Avant cela, il a heureusement pris le temps de publier «Breguet, un siècle d’aviation», aux Editions Privat. Un beau livre, dans tous les sens du terme, grand format, dont les textes sont brefs et l’iconographie très riche et bénéficie d’une excellente qualité d’impression.
Il s’agit d’un récit, par l’image, de la belle et riche carrière de Louis Breguet (1880-1955), du célèbre «XIV» au Deux-Ponts, avec prolongation vers les temps modernes, jusqu’au 941 et au Jaguar. Un grand pionnier, «qui vivait dans l’avenir», issu d’une lignée de savants et techniciens, et qui marqua son temps (1). Outre des avions de toutes catégories qui sont entrés de plain-pied dans l’Histoire, on retient des incursions dans des chemins de traverse, par exemple celui des gyroplanes, les appareils des grands raids et, plus inattendu, la production de voitures électriques à partir de 1940. Deux places seulement, des batteries qui pesaient 650 kg et une autonomie tout juste suffisante. Mais on fait à peine mieux aujourd’hui ! Puis vint un épisode de courte durée des planeurs. De 1922 à 1927, Louis Breguet a été président de la Chambre syndicale qui a précédé l’actuel GIFAS.
Toutes proportions gardées, peu d’auteurs ont été inspirés par la saga Breguet. Ou ont publié des ouvrages tombés dans ‘oubli, par exemple une biographie très vivante due à Guy Michelet, il y a bien longtemps. Ce beau livre est d’autant plus bienvenu.
** Un roman. «Le Merle moqueur» d’Eric Dautriat (Pascal Galodé Editions) n’a pas tout à fait sa place ici. Malgré les grandes qualités d’une plume alerte, déjà mise en valeur par deux ouvrages antérieurs dont «Décompte final» qui avait pour décor le Centre spatial guyanais. Ce nouveau Dautriat mérite l’attention tout simplement parce que l’auteur, issu de Snecma et Safran, est directeur exécutif de Clean Sky.
C’est inattendu en même temps que très sympathique. Une touche de talent littéraire rare et bienvenue, dans un monde ardu, très technique, qui se préoccupe trop rarement de manier la langue française avec tout le respect qui lui est dû.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) Ecrivains et journalistes tendent à oublier que Breguet s’écrit sans accent. Mais l’entreprise elle-même, pendant de nombreuses années, a donné le mauvais exemple.