Les principaux candidats abattent leurs dernières cartes dans cette ligne droite finale. Alors que les règles légales françaises imposent une égalité médiatique, il n'est pas facile pour les uns et les autres de se faire entendre et parler au peuple.
Ce week-end, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont eu la même idée : le grand meeting. Rassembler les troupes pour courir ensemble, unis, forts, confiants et pugnaces le sprint victorieux. L'un part avec un handicap mais a tout de même rempli la place de la Concorde, l'autre fait la course en tête. Sans être un expert des sondages et enquêtes d'opinion, il est clair que Sarkozy est dans une situation complexe, comme une équipe de foot qui doit marquer deux buts pendant les arrêts de jeu. Il lui restera bien évidemment le débat d'entre deux tours qui risquent de tourner à son avantage mais la mobilisation avait jusqu'à maintenant du mal à se réaliser.
C'est d'ailleurs intéressant de noter qu'aucun candidat ne réussit véritablement à mobiliser. Certes il y avait des dizaines de milliers de militants socialistes à Vincennes et peut-être 100.000 fidèles sarkozystes place de la Concorde mais dans la rue, dans nos diners, au bureau, les gens ne sont pas mobilisés. Si Hollande est élu, il le sera par dépit ce qui n'est pas très glorieux.
Qu'à cela ne tienne, dans une semaine il faudra faire un choix. Il y a celui de voter blanc mais il ne me convient pas. C'est un choix désespérant. Le blanc de la monarchie, de la grandeur, de la Vierge Marie, OK. Mais le blanc du désespoir, non. Néanmoins, il faut avouer que le choix est complexe.
Dans mon dernier billet, j'ai évoqué les éléments de discernement de la Conférence des Evêques de France qui peuvent nous aider à faire notre choix. Bien que ces éléments s'adressent particulièrement aux catholiques, ils peuvent donner des indications pertinentes à tout homme de bonne volonté. Avec un problème insoluble : ils ne disent pas pour qui voter. Ils ne disent pas pour quel candidat voter car ils ne donnent pas les coefficients applicables à chaque critère. Les évêques américains qui combattent aujourd'hui une loi liberticide sont parfois plus prompts au combat.
Certains s'y sont essayés sur la toile mais ces coefficients sont bien évidemment subjectifs. Il y a ceux qui parlent de trois critères non négociables et ceux qui les élargissent à un quatrième qui englobe à lui seul les dix autres critères et noie un peu le poisson des chrétiens...
Les trois critères majeurs, ratzingeriens, "non négociables" sont le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d’éducation des enfants. Le quatrième, très Benoit XVI également, est "la promotion du bien commun sous toutes ses formes".
Une fois que nous avons dit cela, il est assez évident que les trois premiers critères sont incompatibles avec François Hollande, sa vision de la fin de vie, son indifférence hallucinante à cette détresse ultime qu'est l'IVG, ses attaques sans fin contre l'école privé, sa réaffirmation continue de "l'égalité" des homosexuels face au mariage et l'adoption, sa vision peu discernée de la fécondation, etc. Reste que le débat chez les chrétiens réside dans la quatrième critère, le bien commun. Certains diront Sarkozy injuste ou clivant, certains se tourneront vers Bayrou, certains seront perdus devant la faiblesse du choix. Et ils n'auront pas complètement tort. Si nous devions voter pour un candidat qui se conformerait à ces treize critères fondamentaux, à la Doctrine Sociale de l'Eglise, à une vision chrétienne de la personne humaine, alors nous serions bien ennuyés. Nous sommes bien ennuyés. Et voter contre un candidat est toujours moins enthousiasmant que voter pour. Tout le problème de notre monde est d'ailleurs coincé dans cette équation : nous ne votons pas pour.
Jésus ne nous l'avait pourtant pas caché : son Royaume n'est pas de ce monde. Pourquoi donc voudrions-nous absolument créer un royaume parfait ici et maintenant? Sur ce sujet, saint Thomas d'Aquin nous donne quand même un petit espoir : si le bonheur surnaturel est à venir, nous pouvons cependant travailler au bonheur naturel. La politique recherche le meilleur des biens humains qui est le bien surnaturel. Elle s'appuie sur la raison qui permet à l'homme et à l'homme seul de discerner le bien du mal pour le faire croître vers le bonheur naturel puis le bonheur surnaturel.
Et c'est là qu'il faut revenir à quelques critères fondamentaux. Certes la justice sociale n'a pas été démontrée ces cinq dernières années. Certes le système économique dans son ensemble, notre perception de l'argent comme veau d'or, notre vision du travail centrée sur la rentabilité et notre oubli de l'homme doivent être sévèrement bousculés. Certes l'accueil charitable du plus faible n'a pas toujours été une priorité. Il n'en demeure pas moins que nous ne pouvons pas librement et consciemment accepter une société qui mépriserait à ce point la dignité humaine qu'elle accepterait d'accélerer la mort avec l'euthanasie, nier l'anthropologie en élargissant l'adoption, effacer la spiritualité en bafouant une saine laïcité. Nous ne pouvons pas non plus accepter une société qui ferait dépendre son bonheur naturel et surnaturel de l'Etat, l'état sauveur, l'état égalisateur, l'état éducateur.
L'essence de l'homme tient dans sa liberté de discernement du bien et du mal. Elle tient dans cette liberté de s'ouvrir à la transcendance, de s'émerveiller de la création, de l'accepter et de co-créer le monde avec en ligne de mire le bien commun. Même si parfois nous sommes confrontés à nos propres limites. Mais pourquoi voter pour quelqu'un qui caresse nos limites? Nous ne pourrons jamais aller vers le bien commun si nous ne savons pas qui est l'Homme et si nous espérons avec orgueil devenir des mini dieux créateur à la place de Dieu. De l'anthropologie chrétienne classique découle une "anthropologie de l'entreprise" et une anthropologie du monde.
Ce marxisme teinté de libéralisme, cette autosuffisance, cet athéisme créateur de chimères, je les refuse. Je ne voterai pas François Hollande. Il ne dit pas grand chose mais le peu qu'il dit montre un clivage abyssal avec ma vision de l'Homme.
Les 22 avril et 6 mai, je ne voterai pas pour François Hollande et ensuite, qui que soit le président, je serai vigileant pour défendre sans cesse ce socle, ces treize points, avec force et pugnacité.