... Tel la cavalerie un peu à la bourre mais au grand galop, le sabre au clair, le clairon fier et les éperons bien dans les chairs, il était enfin arrivé l'instant fatidique. Le moment M. Le temps T. Le jour J. L'heure H et on vous fera gré des secondes. Après 5 ans d'un règne sans partage, d'un quinquennat à main de velours pour ses amis toujours bien servis et à poing d'acier pour tous les autres sauf avec l'homme au poing d'acier où là, ça fait bataille donc égalité, Shark Ozzie, l'homme à l'étoile d'argent remettait son titre en jeu. Lui, l'Aigle solitaire, avait préféré s'éloigner quelques jours de Chihuahuan où la campagne battait son plein avec Frankie Lowland et Mel Henchon, un nouveau venu qui commençait à sérieusement courir sur le haricot à chili de Shark Ozzie.
Pour calmer ses nerfs, Shark avait entrepris une longue marche*. D'abord sur la piste des Sioux puis la piste des Navajos. Il s'était mis en quête de la tribu fantôme, celle de Geronimo l'Apache. Le hors-la-loi. L'homme qui valait 500 000 dollars. Et Shark en avait bien besoin pour financer sa campagne ballottante. Retrouver Geronimo, toucher la prime, c'était sa dernière carte pour entrevoir le bout de la piste alors que grondait le tonnerre à l'ouest pas loin de Fort Navajo. Mais il s'était cassé le nez, le Shark. Cavalier perdu, il avait ensuite pris le cheval de fer à Yuma, pile à 3h10 pour aller plus à l'ouest tenter de retrouver la mine de l'Allemande perdue (une certaine Angel Hammerkel). Mais rien n'y fit, jamais il ne la localisa. Même un spectre aux balles d'or, ça lui aurait suffi. Ou un général avec une tête jaune, des fois que ça se revende. Mais non, rien.
Il se rappela de sa Carlula. Sa perle de Chihuahua restée au chaud au saloon. Son visage d'ange le guidait encore et toujours, dans la joie comme dans l'adversité, contre vents et marées quoi qu'il y ait assez peu de ces secondes en plein désert. Carlula Belluni, c'était son petit amour de l'Arizona. Il l'avait croisé pour la première fois à l'ombre, à Tombstone par l'intermédiaire de son ami Rick Corral. Dès qu'il avait posé ses yeux sur elle, il avait fait comprendre à son ami qu'il n'avait plus besoin qu'on lui tienne la chandelle avec ces mots simples restés célèbres : "Ok Corral. Casse-toi maintenant". Etrangement, la seconde partie n'avait pas marqué la mémoire collective. Mais là, à l'instant, alors que les coyotes hurlaient à la mort et qu'il se sentait vraiment dans la merde, ce n'était plus Carlula vers qui allaient ses pensées. C'est à Frankie Lowland qu'il songea. Frankie, le bulot de l'Arkansas, son pire ennemi pour le poste de Sheriff de Chihuahuan.
Frankie n'était ni beau, ni fort, ni même intelligent. Mais il était méritant et il incarnait, paraît-il, le changement. C'est dire si les habitants de Chihuahua en avaient soupé de Shark Ozzie. Car pour se contenter de si peu, il fallait vraiment être désespéré. Frankie Lowland inquiétait de plus en plus les partisans de Shark. Dans les sondages, l'écartentre Frankie et Shark était en train de se transformer en grand canyon. Et comble du comble, une nouvelle force hostile à Shark Ozzie était en train de voir le jour.Un homme que personne n'attendait au départ, qui montait, montait, montait et se posait désormais en sérieux concurrent. Mel Henchon avait de la verve, un regard perçant comme une balle de 45 et il captivait les foules à chaque meeting. Mel voulait faire la révolution à Chihuahuan, partager les richesses, changer le système, mettre l'humain d'abord. "Quelle énorme connerie" répondaient en chœur les partisans de Shark Ozzie tout en fouettant dans leurs slips car il était convaincant, le bougre. Frankie plus Mel, Shark la sentait mal.
Quand aux deux derniers concurrents, bien qu'ils recueillent pas mal de soutiens, ils n'avaient pas la stature pour prendre l'étoile de Shark. Mareen Nepel, plus gironde mais toute aussi extrême et dangereuse que son colonel de père, n'avait que mépris pour tout ce qui portait cheveux sombres et moustaches, soit les mexicains et les mexicaines de Chihuahuan car oui, les femmes portaient aussi la moustache dans la ville. Et pour ce qui est de Fankie Bayou, euh comment die. Son impossibilité de prononcer les R (d'où son nom) depuis sa plus tendre enfance rendait sa tâche ingrate. Déjà qu'il avait une tête de neuneu mais quand il montait sur l'estradepour lancer à la cantonade (car il y avait beaucoup de chinois à Chihuahuan): "JE SEAI VOTE EPÉSENTANT À TOUS ! UN PAYS UNI, IEN NE LUI ÉSISTE ! FANKIE BAYOU POU SHEIFF", tout le monde se foutait de sa gueule et forcément, les "Vas-y, Fankie, c'est bon !" fusaient dans tous les sens.
Seul dans la sierra, Shark réfléchit à tout ça en pissant un coup. Il se demanda si ça valait le coup de se battre, s'il voulait encore se mettre la rate au court-bouillon pour reconquérir ce territoire de poussière. To be dust or not to be dust. Un moment d'inattention qui l'empêcha d'apercevoir les Apaches juste au dessus de la cavité où il avait trouvé refuge pour la nuit. Finissant de s'égoutter, il se retourna et les vit, vit à l'air. Rigolant en chœur, les Apaches lui lancèrent : "Hey, Little Little Man. Casse-toi pauv' con ! Toi être chez nous ici".
* Arriver à coller le nom de tous les albums de Mike Steve Bluebrry dans un seul article de "La Vie est un Western" en hommage à l'immense Jean Giraud ? Oui, tout à fait absolument, c'est possible.
À suivre...
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