Mardi 10 avril 2012 – Le carton jeune de Marine Le Pen
Ca, c’est une surprise, c’est la surprise du jour, dans la
campagne présidentielle, selon un sondage SCA pour le journal Le Monde, Marine
Le Pen arrive en tête des intentions de vote, chez les 18-24 ans, avec 26 %,
devant François Hollande à 25 % d’intentions, et loin devant Nicolas Sarkozy et
François Bayrou, respectivement à 16 et 17 % d’intentions de vote, chez les
jeunes. C’est la grande satisfaction de sa campagne, qui connut pas mal de
désillusions. De quoi faire enrager les candidats de gauche, qui se croient
propriétaires de la jeunesse du monde, depuis 1789. De quoi compenser, en
partie, son décrochage dans l’électorat des plus de soixante ans. Pas de chance
pour elle, c’est celui qui est le plus nombreux, et qui vote massivement. Mais
il y a une certaine logique matérialiste, dans cette dialectique des vases
communicants. Marine Le Pen a légitimement inquiété les vieux, et surtout leurs
économies, épargnées pour leurs retraites, en promettant, parfois un peu légèrement,
la fin de l’euro, le retour au franc, une dévaluation massive de la monnaie
nationale. Elle ne pouvait pas effrayer les jeunes qui n’ont rien. Surtout les
jeunes non diplômés, qui la plébiscitent, et dont souvent les parents n’ont pas
grand-chose. Cet électorat populaire et juvénile va au plus révolutionnaire des
candidats. Puisque même Mélenchon veut conserver l’euro. Cette logique
révolutionnaire des générations est une des clés de l’histoire de France, depuis
deux siècles. En mai 68, les jeunes gens nés après-guerre, ont fait souffler le
vent de la révolte, contre les caciques de la résistance, groupés autour du
général de Gaulle. C’était le meurtre du père, et même du grand-père. Pour
mieux abattre le héros de 40, ils l’ont comparé à Pétain, CRS = SS. Ils ont
fait exploser les valeurs de la société : famille, patrie, travail. Ils
ont imposé un monde ouvert, dominé par le marché, contre les frontières et les
morales traditionnelles. Aujourd’hui, ces mêmes baby-boomers prennent leur
retraite. Ils sont les patrons de l’époque. Le monde ouvert qu’ils ont imposé,
a fait leur fortune, leur a donné la paix, le confort, la liberté. Jamais les
inégalités de revenus n’ont été aussi importantes entre générations, qu’aujourd’hui.
Le vote pour le Front national, par les jeunes, est donc devenu assez
naturellement, le vote de révolte transgressive, contre ces baby-boomers qui l’ont
toujours comparé au nazisme. Le meurtre du père et même du grand-père. Paradoxalement,
il est même pour certains, à l’instar des populistes hollandais, un vote pour
préserver une société de tolérance, contre le puritanisme islamique. Voter
Marine Le Pen, au nom de la tolérance, il est certain que cela reste tout de
même, assez tordu. Il y a bien d’autres explications. Car plus globalement,
cette nouvelle génération, surtout chez les non-diplômés, est la principale victime
de ce fameux monde ouvert, victime des délocalisations, qui les privent d’emplois
ouvriers, incapable de se loger à des prix décents, victime d’une concurrence âpre,
avec les enfants de l’immigration. Dans son livre, désormais célèbre, « Fracture
française », Christophe décrit bien, ce qu’il appelle, la guerre des yeux,
la rivalité, la rivalité dans la rue, rivalité dans les écoles, que personne n’aime
perdre, et personne n’accepte d’être minoritaire. Jusqu’aux années 70, l’assimilation
à la française donnait aux ouvriers français un rôle de mentor, de passeur de
la culture française, aux derniers arrivants. Le multiculturalisme de la gauche
anti-raciste, a détruit ce rôle de référent culturel, qui donnait du prestige
aux jeunes ouvriers autochtones, depuis lors, méprisé par les bobos, traités de
populistes et de racistes, par la bien-pensance. Au fait, Marine Le Pen est née
en 1968.